L'évocation de plateformes politiques et partis plateformes concernant les appropriations des technologies numériques à des fins partisanes apparaît
a priori comme déconcertant. En effet, historiquement, le terme anglophone
platform, de même que, de façon moins usuelle, les mots français plate-forme et plateforme, renvoient non à des dispositifs sociotechniques mais à un programme politique, c’est-à-dire à l’exposé des intentions, des projets d’une personne ou d’un groupe, soit un genre politique codifié, distinct du reste du matériel électoral, qui a une portée illocutoire et varie selon les contextes sociohistoriques (Bué et al., 2016). Les expressions plateforme politique et plateforme de parti (
political/party platform) concernent, au sens premier, un ensemble de propositions politiques et de politiques publiques, élaboré et utilisé en vue de la conquête de positions électorales, sans préjuger ni du type d’organisation, ni des techniques avec lequel cet ensemble se construit, s’impose ou se donne à voir dans le débat public.
Pourtant, depuis une douzaine d’années, et plus encore avec la parution de l’ouvrage de Paolo Gerbaudo
The Digital Party (Gerbaudo, 2019), qui nourrit une grande partie des travaux rassemblés dans ce numéro, l’usage des syntagmes « politique plateforme » et « parti plateforme » contribue à réorienter le sens de ceux-ci vers leurs déclinaisons numériques. La politique plateforme signale ainsi un état de la politique institutionnalisée dans lequel les organisations qui participent à la compétition électorale, quelles qu’elles soient – partis mais aussi organisations citoyennes, mouvements sociaux, voire agences spécialisées – s’ajustent à l’emprise des plateformes numériques sur les pratiques sociales et politiques et sont travaillées par celle-ci, du point de vue de leur fonctionnement interne et externe.