De 1954 à 1962, quelque deux millions de Français ont fait la guerre aux Algériens. Soixante ans après, cette " guerre sans nom " reste une page blanche de l'histoire nationale. Et le refoulement de sa mémoire continue à ronger comme une gangrène les fondements mêmes de la société française. De l'autre côté de la Méditerranée, un refoulement symétrique mine la société algérienne : la négation par l'histoire officielle de pans entiers de la guerre de libération n'est pas pour rien dans la guerre civile qui a déchiré le pays à partir de 1992.
Pour comprendre les causes de cette double occultation, Benjamin Stora tente dans cet essai d'éclairer ses mécanismes, en France comme en Algérie. Il démontre comment ceux-ci se sont mis en place dès la guerre elle-même : du côté français, c'est la négation de l'existence même de la guerre, le refus obstiné de reconnaître la réalité de la torture et des exécutions sommaires ; du côté algérien, c'est la violence de la guerre civile secrète qui opposa le FLN et le MNA, ou le massacre en masse des harkis à l'été 1962, perpétré par les ralliés de la vingt-cinquième heure.
L'auteur montre également comment les mensonges de la période 1954-1962 seront à leur tour, dans les décennies suivantes, enfouis dans les mémoires par les amnisties ou les non-dits d'une histoire éclatée.
Benjamin Stora est historien, professeur des universités et a été président président du Conseil d'orientation du Musée de l'histoire de l'immigration. Il est l'auteur de près d'une quarantaine d'ouvrages, parmi lesquels Ils venaient d'Algérie (Fayard, 1992 ; rééd. Pluriel, 2009) et L'Arrivée. De Constantine à Paris, 1962-1972 (Tallandier, 2023). Il est notamment l'auteur aux Éditions La Découverte de Histoire de l'Algérie coloniale 1830-1954 (coll. " Repères "), Histoire de la guerre d'Algérie 1954-1962 (coll. " Repères ", nouvelle édition 2004), et de La gangrène et l'oubli (1992-1998).
La parenthèse de la guerre d'Algérie ne sera pas refermée tant que la réalité de ces années de larme et de sang continuera d'être travestie. En France, le remord se mêle au ressentiment pour faire ce qui fut. Une guerre civile a eu lieu dont l'armistice n'est pas en vue. Il faudrait pour cela s'accorder sur une interprétation commune des évènements. En Algérie, un gouvernement chancelant entretient une vision arrangée de l'Histoire sur laquelle il a fondé trente ans durant sa légitimité. L'oubli a les mêmes conséquences des deux côtés de la Méditerranée. A force d'être niée, la réalité resurgit à intervalle régulier avec la violence des eaux dormantes. Des révoltes de fils de harkis à la désagrégation du FLN, c'est la même onde de choc, celle des années 1954-1962, qui continue de se propager. Sans la mémoire de ces années là de tels évènements sont indéchiffrables. Et, par conséquent sans remède. Si les Français se sont accordés tant bien que mal sur une vision commune de la période 1939 – 1945, l'histoire de leurs " années algériennes " reste à écrire par eux c'est-à-dire à exorciser. C'est à quoi s'emploie Benjamin Stora avec ce livre, où il s'efforce d'éclairer les mécanismes de " fabrication de l'oubli " . L'originalité de cette démarche est d'embrasser d'un même regard une histoire à deux faces, la française et l'algérienne, sur une période longue, qui va des prémices de la guerre d'Algérie à aujourd'hui. Cette vision grand angle montre que les ressorts de l'occultation se sont mis en place dès l'origine du conflit... (...) Comme le suggère son titre, cet essai prévient qu'en politique l'oubli peut gangrener le corps social. L'actualité sur les deux rives de la Méditerranée, le rappelle surabondamment.
1991-12-06 - Bertrand Le Gendre - Le Monde
" L'historien Benjamin Stora vient de livrer un des grands livres qu'il nous manquait sur cette guerre. "
François Reynaert, LIBÉRATION
" Benjamin Stora entreprend avec succès d'expliquer les raisons de ce non-dit collectif, [...] le livre de ce dernier inaugure [...] un autre regard sur une page d'histoire surchargée et mal lisible. "
Laurent Theis, LE NOUVEL OBSERVATEUR
" Un cheminement logique le conduit maintenant à traiter de la guerre menée là-bas [...]. On peut dire qu'il aura réussi dans cette entreprise, en mêlant au sérieux de l'analyse et au rigoureux exposé des faits des aperçus inédits ou mal connus [...]. Cet esprit scientifique sait le fondement historique des unes comme il ressent, comprend et explique la permanence des autres. "
André Pautard, L'EXPRESS
2024-10-04 - PRESSE
Préface à l'édition de 1998 - I ntroduction - I. France, 1954-1962 : La noire violence des secrets familiaux - 1. La guerre sans nom - 2. La protection des secrets - 3. Des images qui fabriquent la paix - 4. La divulgation des secrets, l'indifférence des Français - 5. La double crise de la république et de la nation : ce qu'il a fallu oublier - 6. Des massacres non reconnus - 7. Fin de guerre, éclatement et consensus - II. Algérie, 1926-1962 : Derrière l'histoire officielle, les déchirements - 8. La dissimulation des origines - 9. Le front, ou l'effacement du pluralisme - 10. La révolution sans visage - 11. Le mensonge d'un " peuple unanime " - 12. La victoire et ses divisions - 13. Le bilan des pertes - III. 1962-1982 : Désirs d'oubli, bouffées de mémoire - 14. La guerre ininterrompue - 15. La guerre ensevelie - 16. La guerre " oubliée " - 17. La guerre intériorisée - 18. La solitude des porteurs de mémoire - 19. Conflits de mémoire : des archives et des chiffres - IV. 1982-1991 : Les revanches imaginaires - 20. France : derrière l'immigration, la guerre d'Algérie - 21. Algérie : comment sortir de la guerre ? - 22. France/Algérie : assumer l'Histoire - Chronologie de l'après-guerre d'Algérie, 1962-1990.