Que resterait-il de l'actualité s'il n'y avait plus de victimes ? Il suffit de jeter un coup d'œil à la télévision pour s'en rendre compte : du journal télévisé aux émissions de divertissement, la souffrance fascine et occupe le devant de la scène. Pourtant, on aurait tort de réduire cette omniprésence à une simple mode médiatique. Car c'est le signe d'une évolution profonde de nos sociétés démocratiques : autrefois, les victimes avaient honte de leur condition, aujourd'hui la reconnaissance de ce statut est devenue un enjeu, donnant naissance à une nouvelle catégorie sociale. Autour des victimes, un consensus compassionnel s'est mis en place, par lequel les médias, les politiques, les ONG et certains intellectuels apportent à une opinion publique consentante son lot quotidien de souffrances. C'est cette alliance objective qui façonne notre " société des victimes ". Pourquoi un monde qui n'a jamais semblé aussi inégalitaire, individualiste et cruel se soucie-t-il autant des victimes ? C'est ce paradoxe que propose d'explorer cet ouvrage incisif. Au sein du consensus compassionnel, la charité aspire à remplacer la solidarité, l'exception se substitue à la règle, l'émotion prend le pas sur la raison et l'instrumentalisation de la souffrance se traduit de multiples manières : des enjeux politiques biaisés et pervertis, une justice kidnappée par la victime, une rivalité mimétique incessante entre les communautés... La cause de la victime en est venue à servir l'injustice. Et le victimisme menace désormais l'humanisme. 
 
                
 
                                            Guillaume Erner enseigne la sociologie. Il est l'auteur de Victime de la mode ? Comment on crée, pourquoi on la suit (2004. La Découverte/Poche 2006) et de Expliquer l'antisémitisme (PUF, 2005)

Introduction 
 I. La révolution des victimes 
 Victimes : une nouvelle catégorie sociale 
 Naissance de la victimologie 
 Refus de la souffrance et sensibilité démocratique 
 Tous victimes, même les bêtes 
 La sacralisation par la souffrance 
 La victime apocryphe 
 La naissance de la victime privée 
 Mai 68 : le printemps des victimes 
 L'agonie du tiers-mondisme 
 Le Biafra et la naissance de l'humanitaire moderne 
 Le génocide et le retour du refoulé 
 Concurrence des victimes et psychologisation
 La lutte pour la reconnaissance des victimes 
 Lutte collective et construction individuelle 
 Les souffrances psychiques, extension du domaine de la victime 
 Dignité de l'homme et interdiction du bizutage 
 L'épidémie de harcèlement moral 
 Toutes victimes ? 
 Banalité du mal ou banalisation de la souffrance ? 
 La société du spectacle de la victime 
 La télévision de l'intime, règne de la victime 
 Un temps de cerveau très disponible pour les victimes 
 Les mécanismes de l'indifférence médiatique 
 L'effet CNN 
 La télévision du malheur 
 II. Le consensus compassionnel 
 Le triomphe du fait divers compassionnel 
 La diffusion du fait divers 
 Le fait divers comme horizon 
 Informations dramatiques et dramatisation de l'information 
 La victime représentative d'elle-même 
 Cruelle compassion : la pitié agressive 
 La pédophilie ou l'absolu du fait divers compassionnel Pitié agressive et lynchage compassionnel
 Naissance de l'intellectuel compassionnel 
 L'intellectuel : un métier au service de la victime 
 Les nouveaux philosophes et la fabrique de l'intellectuel compassionnel 
 Une pensée binaire, en faveur d'un État minimal 
 Pierre Bourdieu, dominé par la compassion 
 Misère du monde ou sociologie de la compassion 
 Les ONG à l'assaut de la victime 
 Genèse du kouchnérisme 
 La bonté, gage de confiance 
 Le business de la compassion 
 Le poids des maux, le choc de la communication 
 Hiérarchiser les souffrances, au risque de l'injustice 
 Impératif moral ou dilemme moral 
 Politique de la compassion 
 La compassion comme martingale politique 
 Disparition de Lady Di et épiphanie compassionnelle 
 Duels compassionnels à la tête des États-Unis 
 Jacques Chirac : une présidence compassionnelle 
 Pourquoi tant de compassion ? 
 III. Les victimes contre la société 
 Les victimes entre terreur et pitié 
 Terroriser avec le terrorisme 
 Revaloriser la terreur 
 Nouveau catastrophisme et vieux évangiles 
 Passion pour la victime et adieu à la raison 
 Et si la compassion était mauvaise en soi ? 
 Le victimisme n'est pas un humanisme 
 La charité contre la solidarité 
 L'ambivalence envers les victimes 
 Les victimes contre la justice 
 Le " victimisme " ou la victoire des victimes contre la société 
 Entre la société et la victime, il faut choisir 
 Conclusion 
 Suggestions bibliographiques.