Dans les espaces urbains marqués par la précarisation, les sphères de l'intime se fragilisent. Cet ouvrage explore la vie émotionnelle, affective et sociale de personnes de toutes origines, souvent marquées par l'épreuve de l'exil, dans un quartier " chaud " de Bruxelles, où les relations hommes/femmes, les quêtes affectives et sexuelles sont d'une grande complexité. L'auteure y a longuement fréquenté des prostituées, des errants avec ou sans papiers, des jeunes issus des anciennes et nouvelles migrations, turques en particulier. Elle restitue ici, avec finesse et délicatesse, leurs histoires et contextes de vie, qui contribuent à façonner leurs rapports au corps, à l'autre sexe et à la solitude.
Éprouvés mais altiers, marginalisés mais créatifs, brisés mais tenaces, les interlocuteurs de l'ethnologue font face à l'insécurité sociale et intime. Celle-ci peut devenir une quête initiatique, où s'invente une autre vie urbaine, souterraine et alternative. Il en va ainsi de la prostitution libre et courtisane, vécue comme un métier de service ; des squats semi-organisés qui protègent de la rue les couples et les grands célibataires ; des couples mixtes et des inventions transculturelles qui décloisonnent les ghettos urbains. À travers la vie intérieure et secrète de ses interlocuteurs, Pascale Jamoulle nous invite à découvrir les mondes off des grandes métropoles, à voir comment s'invente la mondialisation par le bas de l'échelle sociale.
Pascale Jamoulle est docteure en anthropologie, licenciée en lettres et assistante sociale. Chargée de cours à l'UMONS (Université de Mons) et professeure à l'UCL (Université de Louvain), elle est membre du Centre de recherche en inclusion sociale (CeRIS/UMONS) et du Laboratoire d'anthropologie prospective (Laap/UCL). Elle a notamment publié à La Découverte Des hommes sur le fil (Poche, 2008), Fragments d'intime (2009) et Par-delà les silences (2013).
2009-03-10 - Claire Lévy-Vroelant - Non fiction
" Une enquête ethnologique remarquable qui s'appuie sur des sources diverses: observations, récits de vie, entretiens collectifs dans les écoles... Et débouche sur la publication de l'ouvrage Fragments d'intime où l'on découvre une autre facette de la vie souterraine bruxelloise. Un monde écorché vif, impitoyable et fragile, où les femmes sont particulièrement exposées et malmenées. Un monde "aux marges urbaines" qu'il est parfois bon de regarder en face... "
LE SOIR
" Ayant pénétré dans ces squats, multiplié les entretiens, Pascale Jamoulle, véritable anti-Pinçon-Charlot, résume admirablement cette plongée dans la mondialisation par le bas. "
LE QUOTIDIEN DU MEDECIN
" Le travail de Pascale Jamoulle est d'abord de faire des rencontres. Surtout l'anthropologue donne une voix aux sans-voix. Avec humilité, patience et, il y a tout lieu de croire, justesse. Elle rapporte les mots de ces inconnus que nous croisons sans souvent vouloir les voir, dans les gares, au bas des immeubles, dans les recoins des villes. Ceux dont on se détourne, les "sans", sans-papiers, sans-logis, sans revenus, sans droits... [...] L'auteure montre donc avec force, à partir de ses observations de terrain, que l'intime, "fragilisé" par la violence sociale, est hautement "révélateur des fonctionnements sociaux". Et que les corps, de véritables "poupées ventriloques" (Maurice Godelier) sont révélateurs de la "violence des vécus personnels et des relations sociales". En donnant voix à ces personnes et en observant les signes émis par leurs corps, Pascale Jamoulle s'est sans aucun doute inscrite dans la grande tradition de l'anthropologie. À l'écoute de l'homme. "
POLITIS
" Le peuple des abîmes. Comme Jack London au tout début du XX° siècle, Pascale Jamoulle dresse le portrait des laissés-pour-compte de la société, des déclassés économiques. La comparaison s'arrête là. Elle le fait en anthropologue, non en écrivain: d'un territoire particulier, le voisinage de la gare du Nord à Bruxelles, elle décrit quelques personnages emblématiques. Surtout, Jack London observait une population britannique et protestante: victimes des marchands de sommeil et habitants des taudis de l'Est End londonien. En 2009, la mondialisation est passée. La photographie des alentours de la gare du Nord offre une diversité des religions, de coutumes et d'origines. L'auteure dévoile l'inscription de la misère dans les corps et dans la tête. [...] pour étudier ce repli sur le corps en danger, ses conséquences sur la santé mentale, elle isole trois genres, le genre marchand où la marchandisation des corps voisine avec l'économie parallèle, le genre perdu, dédié aux travellers, des errants souvent victimes de la drogue, le genre tragique où les jeunes filles, dans leur désir d'émancipation, se heurtent aux parents et aux grands frères, dépositaires de la tradition, un phénomène commun aux familles turques et marocaines. Tous ont en commun une grande difficulté à renouer les fils d'une histoire sentimentale marquée dans le passé par le drame et les séparations, et complexifié par le chevauchement des cultures. [...] Pascale Jamoulle, forte de son double statut d'universitaire et d'assistante sociale, cerne au plus près la vérité humaine d'individus passés "à la moulinette de la rue". "
LE MONDE
2024-12-13 - PRESSE
Remerciements
Introduction : la fragilisation de l'intime
Le genre aux marges
Les lieux : un quartier " chaud ", populaire et marchand
Corps et solitudes
I. Le genre marchand. Le financement des liens affectifs et sexuels
Corps marchandisés et leurres identitaires : l'histoire de Yérina
Quand le consumérisme vient combler le manque de transmission
La " compète " et l'hypersexualisation des corps
L'affichage des filles isolées et la proximité des trafics
Acheter les biens, les corps et même l'amour
Attachement en yoyo et fantasmes violents
Divisions : double vie, double langage, double tableau
Exploitation financière et sexuelle
Le corps mis à l'épreuve
Enquêter dans les mondes de la prostitution
Maria, Aline, Célia, ou la liberté de parole des prostituées indépendantes
Abolitionnisme et stigmate social
Des prostitutions à multiples facettes
Désespoir d'aimer et fragmentations
Reconstruction de soi dans le travail de courtisane
Régulations et usures de la prostitution
Évolutions sociales des fantasmes sexuels : peurs et expiations
Conclusions : L'intime révèle des fonctionnements sociaux
II. Le genre perdu. Errances et solitudes de la rue
Errances socioaffectives
L'histoire de Tarra, une traveller en partance
Liens d'attachement violents et identité de genre marginale
Violences conjugales et succession d'échecs amoureux
Maternités et guerre des matrices
Styles affectifs des marges
Violences de la rue et de l'ordre institutionnel
Transmutation des colères privées en luttes collectives
Intimité et vies sociales en rue
Enquêtes nomades
Des vies grégaires, en solitude affective
Les risques des attachements
Précarisation et désordres psychiques
La possession : le djinn d'amour de Mehmet
La dissociation : les amours morcelés de Marlène
L'errance identitaire : les fictions d'Ariel
Conclusions : Esquiver l'intime
III. Le genre tragique. Conflits intimes dans les quartiers immigrés
Évolution des relations hommes/femmes en migration
Entretiens de groupe et récits de vie
Ordres masculins et féminins et évolution des modèles éducatifs
Les tensions de genre adolescentes
Stratégies matrimoniales plurielles
Les pressions au mariage
L'importation de beaux-enfants
Colères et ressentiments des femmes
Les conflits de normes de genres
Souffrances transculturelles
Motifs obscurs des voyages
Dynamiques de ghetto et " cocon turc "
Monoculturalité scolaire et déscolarisation
Double vie de la jeunesse et métissages culturels
Enfermement des femmes et dépression : " trop porter ", " trop endosser "
Les mises en danger masculines : biz, drogues et jeux
Conclusions : Désenclaver l'intime
Conclusion : l'intimité aux marges sociales
Posface
Bibliographie sélective.