2016-08-29 - Florian Gulli - L'Humanité
Le nom d’André Gorz - auquel l’historien Willy Gianinazzi consacre Une vie - est attaché à l’une des plus originales critiques du capitalisme, d’abord élaborée dans le lexique hybridé de Marx, Sartre ou Marcuse, liée à la perspective du pouvoir ouvrier, puis tournée vers la déconstruction du rôle central du prolétariat, de l’idéologie productiviste et de l’éthique du travail. Comme telle, elle a constitué - en France mais aussi en Amérique latine, dans les pays nordiques, en Italie ou en Allemagne - un point de référence pour de nombreux théoriciens de gauche, les écologistes, les syndicats et les mouvements luttant pour la réduction du temps de travail, le revenu social garanti et l’instauration d’une autre logique - «éco-socialiste» - que celle de la loi du marché. Mais de cette œuvre, le chiffre qui n’a jamais changé est philosophique : la seule société vivable est celle qui permet la réalisation de soi - condition de l’épanouissement de tous - et qui donne à chacun la pleine et entière maîtrise de sa propre vie, jusqu’à la mort.
2016-09-01 - Robert Maggiori - Libération
Par ces temps d’hégémonie des idées réactionnaires, on dresse parfois le portrait-robot de l’intellectuel de gauche idéal, capable de nous aider à penser et à résister. On le voudrait sérieux mais pas illisible. Pédagogue et non démagogue. Il faudrait qu’il sache se faire entendre sans tomber dans l’agitation médiatique. Qu’il porte une utopie mais tienne compte de la réalité. Qu’il parle aux hommes politiques sans leur être inféodé. Qu’il s’intéresse à nos vies quotidiennes autant qu’à l’avenir de la planète… En somme, notre oiseau rare devrait être à la fois sage, savant et militant. Impossible ? Et pourtant, il a existé. Il s’appelait André Gorz. Il a travaillé vingt ans comme journaliste au « Nouvel observateur » en même temps qu’il construisait son œuvre de philosophe. Toute sa vie, il a combattu le capitalisme inégalitaire, pollueur et aliénant. Rigoureux (il était un grand lecteur de Hegel, Marx et de l’école de Francfort) mais pas jargonnant, il ancrait les enjeux de philosophie politique dans la réalité la plus prosaïque. Auteur d’une vingtaine d’ouvrages, i la joui, dans les années 70, d’une influence considérable chez ceux qui cherchaient à changer le monde. Il est vrai que c’était un autre temps, où la gauche contestataire et la gauche réformatrice savaient dialoguer, où les syndicats et partis trouvaient normal de se référer à des textes théoriques, et où jamais l’on aurait imaginé qu’un jour, un Premier ministre socialiste en vienne à rejeter « les explications sociologiques ». Les penseurs complexes, alors, avaient leur place dans la vie publique. En septembre 2017, on célébrera les dix ans de la mort d’André Gorz. Avec un peu d’avance, Willy Gianinazzi lui consacre une biographie très complète aux Éditions La Découverte, sous le titre « André Gorz, une vie ». La lecture est saisissante, car elle permet d’embrasser d’un seul coup d’œil les engagements d’un intellectuel d’une exceptionnelle acuité.
2016-09-01 - Éric Aeschimann - L'Obs
Au soir de sa vie, André Gorz nous avait émus avec Lettre à D., inoubliable lettre d'amour adressée à sa femme. Le théoricien laissait alors place à l'homme concret. Derrière une œuvre, il y a toujours un homme "fait de tous les hommes et qui les vaut tous et qui vaut n'importe qui", disait Sartre. La biographie de Gorz proposée par l'historien Willy Gianinazzi est la première. Elle restitue l'homme à la fois penseur de la critique sociale et journaliste à L'Express puis au Nouvel Observateur sous le pseudonyme de Michel Bosquet. L'auteur passe en revue l'itinéraire de Gorz et ses nombreuses rencontres, en s'appuyant sur les archives conservées à l'Institut Mémoires de l'édition contemporaine. Gianinazzi ne laisse rien dans l'ombre, complétant, quand il le faut, les documents par de l'enquête. Ainsi, une des parties les plus originales du livre revient sur la période "suisse" de Gorz (1939-1949). Une période où tous les éléments essentiels de sa vie future vont se mettre en place : rencontre avec Sartre en 1946, premiers articles dans le journal Servir et rencontre avec Dorine, qu'il épousera en 1949. Gianinazzi s'applique également à faire ressortir le talent de Gorz pour décortiquer le capitalisme sans passer sous silence les interrogations du théoricien. Par exemple, ses hésitations lorsqu'il est pour la première fois confronté à la pensée d'Ivan Illich. On sait à quel point cette rencontre fut ensuite féconde. C'est que Gorz n'était pas dogmatique. C'est pour cela que son oeuvre durera.
2016-09-02 - Christophe Fourel - Alternatives Économiques
André Gorz fut l’un des critiques les plus acérés du capitalisme et d’une société d’abondance, dont il identifie dès la fin des années 1950 le mécanisme aliénant. Il fut aussi l’un des premiers à envisager l’écologie comme inséparable du mouvement social visant à rompre avec le dogme mortifère de la croissance économique. Cette première biographie intellectuelle est l’occasion d’explorer une œuvre dense et engagée. C’est d’abord la guerre, passée en Suisse, qui l’éveille à une conscience morale et politique. Car Gerhart Horz, de son vrai nom, est né à Vienne en 1923 de parents juifs. Le journalisme donnera ensuite forme à son engagement. Mais ce qui l’anime reste peut-être une quête existentielle liée à ses changements de noms : Gérard Horz, Michel Bosquet (pour les articles qu’il signe au Nouvel Observateur), André Gorz, enfin. On se souvient encore de sa Lettre à D., bouleversante ode d’amour à sa femme Dorine parue en 2006. Ils se suicidèrent ensemble l’année d’après.
2016-09-02 - Philosophie Magazine
Dans une biographie documentée d’André Gorz, Willy Gianinazzi rappelle l’importance prophétique des luttes menées par ce journaliste et intellectuel dans les années 1960-70 : défense de l’autonomie, du temps libre, de la qualité de vie, critique de l’aliénation, de la consommation… Ses combats résonnent plus que jamais aujourd’hui. (…) De manière précise et documentée, Willy Gianinazzi consigne à travers tous les combats politiques d’un homme, autodidacte, oscillant entre plusieurs espaces intellectuels (le journalisme, la philosophie), la ferveur d’une pensée qui traversa trois décennies en en comprenant toutes les failles et les enjeux à venir. Le parcours intellectuel et militant d’André Gorz se superpose aux dérives de notre époque, qui après les rêves utopiques des années 1960, n’a jamais su inventer le cadre d’un épanouissement individuel et collectif.
2016-09-11 - Jean-Marie Durand - Les Inrockuptibles
La voix discrète d’André Gorz (1923-2007) manque beaucoup. D’abord parce qu’il fut un des penseurs majeurs de l’après-capitalisme et de l’écologie politique. Ensuite parce que son ouverture internationale contraste avec le repli hexagonal des intellectuels visibles aujourd’hui. Ce cosmopolitisme, qui lui permit d’intégrer dans ses livres le meilleur de la pensée critique et socialiste – américaine, italienne ou allemande –, était inscrit dans sa trajectoire personnelle. C’est ce que montre la belle biographie de Willy Gianinazzi, dont le mérite est de saisir la singularité de Gorz tout en le situant dans des tendances intellectuelles et politiques de fond. Car Gorz s’est situé au carrefour d’expériences collectives : la critique du capitalisme à l’ère de « l’opulence » popularisée par Herbert Marcuse, la gauche non communiste des années 1960 incarnée par le syndicalisme italien et le PSU, Les Temps modernes de Jean-Paul Sartre, Le Nouvel Observateur, l’écologie politique aux côtés d’Ivan Illich, etc. Aussi ce livre constitue-t-il, sans le proclamer, une contribution importante à l’histoire intellectuelle en France.
2016-09-16 - Serge Audier - Le Monde des Livres
Une vibrante biographie intellectuelle de l’historien Willy Gianinazzi retrace les facettes de celui qui se voyait comme « une sorte d’être hybride », penseur singulier et visionnaire du capitalisme, du travail et de l’écologie, philosophe éperdument épris de liberté. Une vie placée sous le signe de la quête de sens et de la créativité, que Gianinazzi inscrit dans le bouillonnement intellectuel et politique de l’époque, donnant à voir, aussi, un panorama de la pensée de gauche des années 50 à aujourd’hui.
2016-10-08 - Weronika Zarachowicz - Télérama