Qu'est-ce que la domination ? Comment s'exerce-t-elle ? Par quels mécanismes se reproduit-elle ? Quels sont les critères et les pratiques qui permettent aux pouvoirs de se légitimer ? De quelles manières y participons-nous ?...
En relisant Marx, Weber, Gramsci et, plus près de nous, Bourdieu ou Foucault, Béatrice Hibou s'affronte à son tour à l'une des questions centrales de la théorie politique et sociale, celle de l'exercice de la domination d'État. Dans cet ouvrage, l'auteure renouvelle cette problématique avec une approche alliant comparatisme, analyse du quotidien et économie politique.
Elle met en évidence les dispositions, les compréhensions et les pratiques qui rendent la domination concevable, supportable, voire acceptable ou rassurante. Celle-ci apparaît d'autant plus insidieuse et indolore qu'elle renvoie souvent à la question du désir d'État.
Pour mener à bien cette démonstration, Béatrice Hibou s'appuie sur une analyse de situations autoritaires ou totalitaires - en particulier sur la reprise des cas paradigmatiques du fascisme, du national-socialisme et du socialisme soviétique - qui nous permet aussi de saisir ce qu'est la domination dans le cadre démocratique contemporain. Ce faisant, elle nous fournit les instruments nécessaires à l'élaboration d'une critique renouvelée des dérives du politique dans la cité contemporaine.
Béatrice Hibou est directrice de recherches au CNRS (rattachée au Centre d'études et de recherches internationales – Sciences Po). Elle est l'auteur de plusieurs livres, dont, à La Découverte, La Force de l'obéissance (2006), Anatomie politique de la domination (2011) et La Bureaucratisation du monde à l'ère néolibérale (2012).
" Béatrice Hibou prévient d'emblée qu'elle n'est pas de ceux qui amalgament régimes autoritaires et dérives des démocraties néolibérales. Cette précaution prise, elle peut ensuite décrypter les ressorts du couple obéissance-domination dans des contextes et des époques fort différents. Plutôt que sur la violence et la coercition, la chercheuse choisit de se pencher sur les " douceurs insidieuses " dont parlait Michel Foucault. Anatomie politique de la domination interroge les processus de légitimation du pouvoir : répondre aux aspirations à vivre normalement comme à la demande de modernité, maîtriser l'art de faire croire... Bref, l'obéissance ne repose pas seulement sur la peur, mais aussi sur le désir. "
REGARDS
2024-12-13 - PRESSE
Remerciements
Introduction
I / Les processus de légitimation de la domination autoritaire. Disposition à obéir et constellation d'intérêts
1. Désir de normalité, processus normatifs et pouvoir de normalisation
Vivre " normalement "
Légitimités clientélistes
Économie du don et exercice légitime de la domination
La lutte contre le déviant : l'exemple de l'anticorruption
2. Le croire et le faire croire, ou les ressorts subjectifs de la légitimité
Normalisation, persuasion et langage du politique
Langage politique et interprétation de la vie en société
La force du formalisme
La vie quotidienne des énoncés idéologiques
Normalité imaginée, normalité ressentie
3. Désir d'État et dispositifs de contrôle
Demandes de protection et culture politique du danger : le cas tunisien
Demande d'ordre, de sécurité et de stabilité
Déclinaisons de la stabilité : le salazarisme dans tous ses états
Sollicitude de l'État et demande de justice
Demande d'État et construction nationale
Désir d'État et violence d'État
Des articulations différenciées de la violence et de l'exercice de la domination
La construction coercitive du consensus économique : le cas d'école tunisien
La violence du consensus
La violence de l'État de droit et des jeux asymétriques autour des règles
État de droit et état d'exception : la violence d'État au service de l'efficacité
4. Modernité et technocratisation
Désir d'État comme désir de modernisation
Légitimité technocratique et " production sociale de l'indifférence morale "
Variations sur les ambiguïtés de la légitimité par le savoir
La technocratie, ou la victoire de la rénovation politique
L'expertise en développement comme " machine antipolitique "
L'expertise en développement : un redéploiement négocié du contrôle et de la domination
II / Les " complications " de la domination. Une critique des problématiques de l'intentionnalité
5. Ni " collaborateurs " ni " opposants " : des acteurs économiques pris dans des logiques d'actions diverses et dans des enchaînements aléatoires
Une histoire sur-politisée, 1 : la " participation " des grands entrepreneurs à l'économie politique nazie
Une histoire sur-politisée, 2 : les entrepreneurs tunisiens entre " résistance " et " soutien sans faille "
L'indéfinition du politique et de l'économique, ou les " effets aveugles " des micro-décisions
L'ambivalence du monde du travail
6. Ni " achat " ni " compensation ": des configurations imprévues
Comment Hitler n'a pu acheter les Allemands
L'illusion du volontarisme de l'État développementaliste
L'impossible calcul machiavélique de " dépolitisation " en Tunisie
Le complexe café-cacao, ou les méandres du contrat social ivoirien
7. Pas de contrôle absolu, mais des convergences et des opportunités circonstancielles
Convergence d'intérêts entre acteurs nationaux et acteurs internationaux : l'exemple du contrôle des zones touristiques
Indétermination des dispositifs économiques et exercice de la domination
Improvisations et interprétations économiques : l'inventivité et la liberté au service de la domination
Le rôle imprévu mais fonctionnel des conflits
8. Ni expression de tolérance ni instrument de répression : le laisser-faire économique comme mode improvisé de domination
Leçons des travaux africanistes sur " l'économie informelle "
Interdépendances des acteurs aux logiques multiples et autonomes
Saisir localement et conjoncturellement des opportunités
9. Interpréter les relations de domination : la plasticité de l'exercice autoritaire du pouvoir
Leçons de l'analyse du travail par l'école de l'Alltagsgeschichte
L'impossible monopole sur la signification politique des actions publiques
Pluralité de sens, d'appréhensions et de représentations : les contours de la domination
Conclusion.