2014-12-13 - Anastasia Vécrin - Libération
Plusieurs décennies après que le terme de « précarité » s’est imposé comme le symbole de maux que la critique sociale ne peut faire que dénoncer sans en enrayer la progression, il y a de l’audace à soutenir, comme Patrick Cingolani le fait dans Révolutions précaires, que l’avenir de l’émancipation doit être recherché du côté des « formes de liberté des précaires ». On pourrait objecter, comme P. Cingolani l’a écrit lui-même, qu’« il n’y a pas de précarité qui soit une liberté » et que « ceux qui le disent, à droite ou à gauche, se bercent et bercent d’illusion ». Sans renier cet avertissement, Révolutions précaires se penche sur les pratiques et les expériences de travailleurs précaires, pour montrer qu’elles sont ambivalentes plutôt qu’unilatéralement dominées, et que cette ambivalence recèle des pistes de réponse à plusieurs des impasses dans lesquelles sont actuellement enlisés les efforts d’émancipation. Cette proposition est l’aboutissement d’un parcours de recherche de long cours, qui s’est caractérisé dès l’origine par un investissement du lexique de la précarité en tension avec ses usages dominants.
2015-01-12 - Cyprien Tasset - La Vie des Idées
Alors que la précarité ne cesse de gagner du terrain, Patrick Cingolani invite à la penser de manière ambivalente. Au-delà de la contrainte imposée aux travailleurs de tous âges, la précarisation des jeunes actifs constituerait également « le ferment alternatif » qui a donné corps à des mouvements sociaux comme les Indignés ou Occupy Wall Street. À la suite d’André Gorz, le sociologue part à la recherche de ceux qu’il nomme, comme Jacques Rancière, les « nouveaux plébéiens », dont « le mode de vie explore la tension entre posture égalitaire et inégalités sociales ». Pour mettre un frein à la démesure capitaliste d’une accumulation de richesses toujours plus inégale, pour « renouer avec la charge utopiste du XIXe siècle », les jeunes précaires seraient selon l’auteur en première ligne pour refonder les modes d’organisation politique et les contestations à venir. « Un mouvement de précaires saura-t-il porter la sobriété de l’égalité contre la puissance mortifère de l’avidité inégalitaire ? »
2015-01-16 - Nicolas Mathey - L'Humanité
Fini le temps où le prolétariat réclamait avant tout une augmentation de son pouvoir d’achat. Pour le sociologue Patrick Cingolani, aujourd’hui, les travailleurs aspirent surtout à davantage d’autonomie. Le mot « précaire », dont l’introduction en sociologie date des années 1980, apparaît avec la massification de formes atypiques de contrat (CDD, intérim, temps partiel…). Il présente aussi une dimension positive : celle de la recherche d’une alternative à la logique tayloriste, jugée aliénante. Plus diplômés que leurs aînés, les jeunes des classes populaires et des classes moyennes recherchent un travail leur permettant de s’épanouir, de « faire ce qui leur plaît ». En parallèle de la société salariale, se développe la « polyactivité » : certains travailleurs mènent de front une activité « alimentaire » et une activité « passion », peu ou pas rémunérée dans l’espoir à terme de se reconvertir et de vivre de celle-ci. P. Cingolani s’intéresse en particulier au cas des travailleurs des industries culturelles. Ces « intellos précaires » cherchent à accomplir des tâches « gratifiantes » même si cela implique un mode de vie simple et une certaine instabilité économique. Cependant, ces dernières années, avec la crise et une féroce concurrence, la valeur de leur travail s’est dépréciée. On pense, par exemple, aux revenus des photographes réduits à la portion congrue face à l’essor du numérique. Les inégalités se creusent parmi ces travailleurs atypiques entre ceux dont les proches peuvent assurer le soutien financier et les autres. L’autonomie des individus est en fait limitée par leur dépendance économique, au fur et à mesure que se développe une forme systématique d’exploitation de leur travail. Indépendants et intérimaires sont en effet mal défendus par les syndicats. La naissance d’espaces de coworking et de nouvelles formes de mobilisation laisse entrevoir, selon l’auteur, une première forme de résistance et de solidarité de ces travailleurs face à la précarité.
2015-02-01 - Florine Galéron - Sciences Humaines
Ever since the 1980s, the word "precarious" has been tinted with ambivalence. In effect, it designates both those subjected to new fragmented and flexible modes of work and those who are developing alternative tactics to life and work. It is this double meaning that this book attempts to analyze.
With no nostalgia for the wage system, which is an institutionalization of subordination, this book in effect makes a claim for the emancipatory potential of this "precarious revolution" and suggests rethinking the struggles and the right to work, starting by disputing new forms of economic domination and their increased power to exploit.
Patrick Cingolani teaches sociology at the Université Paris VII. Working from a perspective close to that of Rancière or Arlette Farge, he has focused for many years on poverty and job insecurity. He is furthermore the author of several books on these topics, notably La précarité (PUF, « Que sais-je ? », 2011) and La République, les sociologues et la question politique (La Dispute, 2003).