Pendant la colonisation française, des dizaines de milliers d’enfants sont nés d’« Européens » et d’« indigènes ». Souvent illégitimes, non reconnus puis abandonnés par leur père, ces métis furent perçus comme un danger parce que leur existence brouillait la frontière entre « citoyens » et « sujets » au fondement de l’ordre colonial. Leur situation a pourtant varié : invisibles en Algérie, ils ont été au centre des préoccupations en Indochine. La « question métisse » a également été posée à Madagascar, en Afrique et en Nouvelle-Calédonie.
Retraçant l’histoire oubliée de ces enfants de la colonie, cet ouvrage révèle une face cachée, mais fondamentale, de l’histoire de l’appartenance nationale en France : il montre comment les tentatives d’assimilation des métis ont culminé, à la fin des années 1920, avec des décrets reconnaissant la citoyenneté à ceux qui pouvaient prouver leur « race française ». Aux colonies, la nation se découvrait sous les traits d’une race.
Cette législation bouleversa le destin de milliers d’individus, passant soudainement de la sujétion à la citoyenneté : ainsi, en Indochine, en 1954, 4 500 enfants furent séparés de leur mère et « rapatriés » en tant que Français. Surtout, elle introduisait la race en droit français, comme critère d’appartenance à la nation. Cela oblige à revoir le « modèle républicain » de la citoyenneté, fondé sur la figure d’un individu abstrait, adhérant volontaire à un projet politique commun et à souligner les liens entre filiation, nationalité et race.
Emmanuelle Saada est historienne et sociologue. Elle enseigne la sociologie historique de la colonisation à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS).
« De nombreux métis sont nés sous la colonisation française, le plus souvent
de pères "européens" et de mères "indigènes". La législation coloniale s'est
saisie assez tôt d'une question brouillant la frontière raciale qui fondait
l'ordre colonial et qui, surtout, introduisit la race dans le droit français.
L'historienne Emmanuelle Saada a retracé l'histoire de ces "enfants de la
colonie" et des mesures prises à leur sujet, révélatrice d'une évolution de
l'appartenance nationale en France qui oblige à revoir le fameux "modèle
républicain" de la citoyenneté. Un ouvrage fondamental.
»
POLITIS
« L'auteur conjugue lisibilité et érudition. Elle
allie aussi les approches sociologique, historique et juridique. Les fondements
de cet impressionnant travail de recherche sont solides, Emmanuelle Saada
puisant dans de nombreuses archives vietnamiennes et françaises. Elle examine
les liens entre juristes, scientifiques et administrateurs coloniaux. En outre,
elle prend le droit au sérieux, ce qui lui permet d'appréhender et d'analyser le
jeu crucial entre droit, politique et pratique aux colonies. Voilà un heureux
constat, surtout dans un contexte actuel de polarisation constante et parfois
caricaturale (dans les deux sens) des enjeux et des débats entourant la question
coloniale. Heureux constat aussi lorsqu'on tient compte du virage récent qui
s'est opéré vers une histoire des représentations coloniales détachée de celles
des pratiques et du droit. Rien de tel dans cette étude nuancée et admirablement
conduite. A la lecture de cet ouvrage, on sera enfin amené à réexaminer l'idée
d'un modèle républicain singulier et monolithique, tout comme l'idée que Vichy
ait pu être le seul régime en France à avoir tenu compte de la notion de "race".
Cette étude aidera également à repenser les catégories souvent héritées de
l'époque coloniale, et à manier avec précaution l'idéal d'une "République
métissé" »
LE MONDE
« Très vite Emmanuelle Saada restitue la
question du métissage dans un bain d'idée. »
LE QUOTIDIEN DU
MEDECIN
« Cet ouvrage, parfois ardu, est donc d'abord une remarquable
contribution à une anthropologie historique du droit qui est sans aucun doute
aujourd'hui l'un des chantiers de recherche les plus stimulants. Sous cet angle,
Saada questionne l'histoire de la filiation dans nos sociétés, et interroge un
moment d'étatisation de ces relations. »
LES INROCKUPTIBLES
«
On suivra volontiers Emmanuelle Saada dans sa démonstration, d'autant qu'elle
s'appuie sur d'impressionnants dépouillements d'archives.
»
LIBÉRATION
« À travers la question de ces enfants nés de
relations illégitimes, il s'agit bien, au fond, de la préservation ou au
contraire de la perturbation de l'ordre colonial.
»
L'HUMANITÉ
« À rebours d'une production éditoriale devenue
assez répétitive, le livre s'efforce de dépasser la seule mise en évidence (il
est vrai longtemps masquée) de la présence de la race dans le gouvernement des
populations, pour en comprendre la genèse et les usages "effectifs" dans
le droit et les pratiques d'administration coloniale. La démonstration porte
donc sur la reconstruction des processus plutôt que sur la simple énumération
des images ou des imaginaires; à partir des sources de la pratique (corpus
législatif, jurisprudence, archives de fonctionnement ministériel et
d'application administrative locale, papiers des associations de protection des
métis, sources orales), l'auteure montre comment a été fabriquée "une question
métisse", comment celle-ci a été constituée en problème nodal puis a été prise
en charge et traitée par l'administration, le droit, la société coloniale, et à
certains égards également par les sociétés colonisées. Dans ce processus, la
notion de race a sa fonction, ses usages et ses effets, qui sont loind'être
unilatéraux. »
LA REVUE INTERNATIONALE DES LIVRES ET DES
IDÉES
« Par son objet et sa méthode, cette thèse de sociologie
illustre brillamment les apports de la démarche socio-historienne dans le champ
des colonial studies. »
LES ANNALES
« Le livre
d'Emmanuelle Saada, issu d'une thèse soutenue en 2001 à l'EHESS, est un des
ouvrages les plus remarquables parus récemment. Exceptionnellement riche et
portant sur des problèmes fondamentaux, il devrait être lu au-delà du cercle des
spécialistes de l'histoire coloniale. »
HISTOIRE, ÉCONOMIE ET
SOCIÉTÉ
« Madame Saada, sociologue et historienne, professeur à
l'École des hautes études en sciences sociales, à Paris, publie son ouvrage issu
des travaux pour sa thèse sur un sujet mal connu et peu souvent abordé: la
situation des métis dans des territoires de ce qui fut l'Empire colonial de la
France. Son livre est donc une source nouvelle de renseignements sur ce
problème. Il est très documenté et précis, citant les textes régissant la
question et faisant état des documents importants trouvés tant dans les archives
d'outre-mer que dans celles de l'Indochine, de Madagascar et d'Afrique noire.
[...] L'aperçu bien complet de cet ouvrage sur le problème des métis, traité de
façon détaillée par l'auteure, ne peut qu'inciter à prendre connaissance du
travail effectué par madame Saada qui nous fournit une base détaillée, bien
documentée et juridiquement très complète de ce problème jusqu'ici négligé par
les chercheurs. »
MONDES ET CULTURES
0000-00-00 - PRESSE
Préface, par Gérard Noiriel
Introduction
I. Le métissage : une question sociale coloniale
1. Une question impériale
Nouvel empire, nouvelle question
Hybrides et bâtards
Géographie de la question métisse
Un problème impérial
Les chiffres du métissage
2.Menace pour l’ordre colonial
Légionnaires, filles de peu et parias
Déracinés et déclassés
Le spectacle du désordre
Dignité et prestige en situation coloniale
3. « Reclasser » les métis
Produire des métis en leur portant secours ?
De la nécessité d’intervenir
Vers une prise en charge par l’État colonial
Notables vs. prolétaires de la colonisation
Dépister, signaler et secourir
Passer les frontières
Vers une demande de droit
II. La question métisse saisie par le droit
4. Nationalité et citoyenneté en situation coloniale
Les enjeux d’une condition juridique
Les juristes et l’indigène
La citoyenneté française en pratique
Les métis entre sujétion et citoyenneté
5. La controverse des « reconnaissances frauduleuses »
Les « reconnaissances frauduleuses », « fraudes » à la citoyenneté
Destin d’une controverse juridique
La production d’un droit impérial
Paternité, citoyenneté et ordre politique
6. La recherche de paternité aux colonies
La recherche de paternité en métropole : un texte de compromis
Un débat colonial
Paternité et citoyenneté : nature et volonté
Paternité et race
7. Citoyens en vertu de la race
Le droit hors de lui
La « question métisse » saisie par le droit
Le retournement de la jurisprudence
La fabrique du droit colonial
Vérité sociologique/vérité biologique, « droit reflet »/« droit instituant »
Mise en œuvre d’un droit racial
III. La force du droit
8. Le passage du droit : les effets de la citoyenneté sur la catégorie de « métis »
La racialisation des pratiques administratives
Renforcement de la prise en charge des métis
Les métis, des cadres de la colonisation
Une question postcoloniale
9. Des identités saisies par le droit
Des Français des colonies
Vers un multiculturalisme impérial ?
Catégorie juridique et sentiment d’identité
10. Le statut des métis, miroir de la nationalité et de la citoyenneté françaises ?
La race dans la loi
Métis coloniaux et métis juifs
La question métisse et les « modèles républicains » de la nationalité et de la citoyenneté
Conclusion
Sources
Bibliographie.
The colonial encounter in the French Empire produced tens of thousands of ‘métis’ children. Most were the product of short-term relationships between European men and native women. Many were abandoned by their fathers, and condemned to illegitimacy. Colonial elites considered them a threat because they blurred the sharp distinction between citizens and subjects on which the colonial order rested. Colonial authorities met this challenge with an array of social and legal efforts to resolve this ambiguity—to «reclassify» the « métis problem » out of existence. Education and culture played a key role in this process, as métis children were placed in special orphanages devoted to « straightening out their heredity », turning them into French citizens of « soul and quality ». This book explores the forgotten history of these children of the colonies, and of their central place in larger strategies of imperial domination and the management of colonial sexuality. It pays special attention to Indochina, which served as a laboratory for the “métis question”, but it is also an account of a global Empire marked by the persistent challenge of maintaining boundaries between citizen and subject. In exploring this intersection between sexuality, race and citizenship in the colonial context, this book challenges and revises the ‘republican model’ of nationhood that has dominated histories of France since the 19th century.
Emmanuelle Saada is a historian and sociologist. She lectures in Historical Sociology of Colonization at the École des hautes études en sciences sociales (EHESS).