Les massacres de Sétif et de Guelma du 8 mai 1945 occupent une place croissante dans les mémoires : Français et Algériens s'en renvoient la responsabilité et discutent leur ampleur. Ce livre déplace la question de Sétif vers Guelma. Il resitue le massacre dans le temps long de la colonisation et dans une Algérie à la croisée des chemins depuis le débarquement de 1942, l'installation de de Gaulle à Alger, et l'affirmation d'une nation algérienne.
Le nationalisme avait acquis une exceptionnelle intensité dans le Constantinois, peuplé d'une très forte majorité d'Algériens, où les Français se sentaient submergés. Le 8 mai 1945, jour des célébrations de la victoire alliée, la poussée du mouvement national algérien se heurta à une réaction européenne d'une rare violence : dans les semaines suivantes, des civils européens desserrèrent l'étau algérien en " purgeant " la région de Guelma de ses nationalistes ? assassinant des centaines d'entre eux ?, et s'opposèrent à la politique de réformes. Un mouvement non seulement répressif, mais subversif, organisé, qui bénéficia de la participation des pouvoirs publics et des élus.
Retraçant très précisément le déroulement de ce drame, cet ouvrage en propose également une réinterprétation. Jean-Pierre Peyroulou décèle en effet dans l'action des Européens des logiques subversives préfigurant celle de l'OAS en 1961-1962. Il examine le fonctionnement d'un État et d'une société coloniale qui élaborèrent une raison d'État rampante pour recouvrir la réalité et la nature des violences, et les chemins tortueux qu'elle emprunta entre Guelma, Constantine, Alger et Paris...
Jean-Pierre Peyroulou est professeur agrégé et docteur en histoire (EHESS). Il a préfacé Les Massacres de Guelma de Marcel Reggui (La Découverte, 2006). Il a publié L'Algérie en guerre civile (Calmann-Lévy, 2002). Il est rédacteur de la revue Esprit.
Marc Olivier Baruch, Docteur en histoire, a soutenu une thèse sur l'administration française entre 1940 et 1944. Ancien élève de l'École polytechnique et de l'École nationale d'administration, il est administrateur civil au ministère de la Culture.
2009-03-26 - Sylvie Thénault - La vie des idées
" Si, trop longtemps, mai 1945 ne signifia, pour l'homme de la rue comme pour l'historien, que la victoire sur le nazisme, ce temps est bien révolu. Se sont succédé, depuis quelques années, trois ouvrages de qualité (celui-ci étant le dernier) sur les massacres dont ont été victimes, dans la région du Constantinois, des milliers d'Algériens. Soixante années plus tard, on peut affirmer que, sauf surprise à vrai dire improbable de découverte de nouvelles sources, tous les documents sur ce drame sont désormais accessibles. L'apport spécifique de l'ouvrage de Peyroulou est la fixation sur une zone géographique unique, celle de Guelma, à l'est de Sétif. Et ce parti pris se révèle heureux. D'abord, parce que toute histoire locale, surtout lorsqu'elle est menée avec cette méticulosité, est riche d'enseignements bien plus généraux. Mais également, dans ce cas, parce que les massacres d'indigènes sont partis de presque rien, si ce n'est la peur de l'autre. Jean-Pierre Peyroulou rappelle en effet que, si à Sétif il y eut bien des Européens tués, de l'ordre d'une centaine, avant la chasse à l'homme, à Guelma, il n'y avait rien eu de tel : une dizaine d'Européens tués, certes, dans des centres isolés, aucun dans le chef-lieu. Mais le fossé entre les communautés était tel que la simple rumeur d'une insurrection générale des Arabes, savamment reprise puis orchestrée par certains administrateurs et élus coloniaux, avait littéralement plongé dans les transes la quasi-totalité de la population européenne. [...] Reste l'essentiel de l'apport de ce livre : la description, presque de l'intérieur, des mécanismes de la montée de la haine raciale. Car, faut-il le rappeler, après l'auteur : " Une grande partie des morts ne fut pas imputable à l'armée, mais aux milices de la région de Guelma. " Et sans doute ailleurs. Rien d'étonnant, dans ces conditions, que beaucoup considèrent que la guerre d'Algérie a commencé à ce moment-là. "
L'HUMANITÉ
" Le but de l'ouvrage de Jean-Pierre Peyroulou n'est pas de trancher la question de la périodisation de la guerre d'Algérie, mais bien plutôt de rendre compte de l'événement dans un versant local peu connu de son histoire. L'auteur revient en effet sur les violences du Constantinois de ce printemps 1945 à travers le cas de Guelma, située à l'extrémité orientale de l'Algérie. Il parvient à le démontrer: les violences dont la ville a été le théâtre pendant deux mois constituent un moment fondamental de l'évolution de l'Algérie coloniale. Fruit d'une thèse de doctorat soutenue en 2007, ce livre comble une lacune de l'histoire coloniale et de la décolonisation. [...] L'intérêt majeur de l'ouvrage de Jean-Pierre Peyroulou, outre le récit précis et renseigné qu'il offre au lecteur, réside dans l'analyse qu'il fait des logiques du système colonial algérien; le printemps 1945 de Guelma constitue à cet égard à la fois un exemple paradigmatique du rapport colonial, et une étape capable d'éclairer le cheminement vers la guerre d'Algérie. "
L'OURS
" C'est à une véritable enquête que Jean-Pierre Peyroulou s'est livré à la manière des rapporteurs de missions de protection des droits de l'homme oeuvrant aujourd'hui, à chaud, sur le théâtre des conflits contemporains - et il ne cache pas qu'il s'en est inspiré. Jean-Pierre Peyroulou a repéré les lieux, identifié les acteurs, retracé leurs faits et gestes. Le résultat est impressionnant de minutie et de précision, au-delà de la seule journée du 8 mai: c'est tout le printemps 1945 en Algérie qu'il faut envisager. "
ESPRIT
2024-12-13 - PRESSE
Préface, par Marc Olivier Baruch - Remerciements - Introduction. Face à l'événement - Le 8 mai 1945 et les relations franco-algériennes depuis 1995 - La théorie du complot 0 Jeux de miroirs et d'éclipse - Trois positions historiennes complémentaires - I / Le système colonial à l'épreuve de la gureer, des réformes et du nationalisme 1942-1945 - 1. Impossible Algérie française, improbable Algérie algérienne - Le déchirement du voile colonial (8 novembre 1942-30 mai 1943) - Impossible Algérie française - Les séquelles de la conquête - L'échec de la colonisation - Improbable Algérie algérienne - Les divisions du nationalisme - Faiblesse de la civilisation urbaine - La partition de l'Algérie : le peuplement et le nombre - 2. Le Constantinois, foyer du nationalisme algérien -De Gaulle à Constantine : la politique algérienne du CFLN - Les Amis du Manifeste et de la liberté (AML) - La question électorale dans le département de Constantine : la menace d'une Algérie algérienne dans les urnes françaises en 1945 ? - Unité des modérés, du PPA et des oulémas - La radicalisation des AML - 3. Le système colonial à Guelma dans la durée - Colonisation, éclatement des tribus et dépossession foncière - Guerre de basse intensité et construction d'un espace de légitimation des violences - Notabilités et clientélismes : la vie politique locale - Rapports sociaux, essor démographique et reconquête foncière algérienne - La guerre : une transformation des équilibres (1940-1943) - 4. Une inquiétante sortie de guerre - Le déplacement des clientèles musulmanes : l'essor des AML et du PPA, le recul de Smaïl Lakhdari - L'affaiblissement de l'État - La radicalisation des Européens -Le contentieux financier - 5. Comment prendre possession de l'espace civique et politique ? 1er-8 mai 1945 - Manifestation et " Jihâd " : deux langages différents - Comment manifester le 1er mai ? Avec ou sans la gauche française ? - De 7 heures à 16 heures, le 8 mai à Sétif : les émeutes en ville, le " Jihâd " dans les campagnes - 18 heures à Guelma le 8 mai : une manifestation nationaliste interdite et réprimée - Un espace civique et politique inaccessible - La police : la rue française ordonnée - II / La subversion européenne de Guelma : une réponse à la poussée nationaliste 9 maiI-27 juin 1945 - 6. La mise en place d'un ordre subversif, le 9 mai 1945 - Les milices - Assassinats d'Européens dans les campagnes - Un " tribunal " illégal, un comité de vigilance - Une culture politique séditieuse - 7. Les débuts de la subversion européenne de Guelma. 10-13 mai 1945 - L'achèvement du dispositif - " La révolte européenne " - L'affaire Reggui : la mort de Mohammed, Zohra et Hafid - L'épuration de la police de Guelma - L'affaire de Villars - La situation du samedi 12 mai et la réaction du PPA - 8. Légitimation et essor de la subversion. 13-19 mai 1945 - Le policier, le témoin, l'historien - L'onction du préfet de Constantine à la milice le 13 mai - Que fait le gouverneur ? - Les tueries - 9. Arrêter les massacres. 19-28 mai 1945 - Le trouble du gouvernement provisoire et la commission Tubert. 19-26 mai - Le tournant du 20 mai : retour à la légalité et suspension de la commission Tubert - " Des équipes de tueurs... tuant par centaines " - 10. Rétablir l'ordre. 28 mai-6 juillet 1945 - Qui peut interrompre la subversion des Européens ? Un gouverneur, un inspecteur, un général, un ministre ? - Le nettoyage des charniers et la destruction des corps - Le ministre de l'Intérieur en Algérie et à Guelma, 24-29 juin 1945 - Les massacres de Guelma, une affaire d'État - 11. Les morts - L'impossible bilan - Morts européens, morts algériens - La purge des Musulmans guelmois politisés - 12. Les tueurs - Sociologie des meurtriers - Les conditions d'un massacre - Comment tuait-on ? Les méthodes - Liberté et sociabilité des tueurs - L'heure des razzias - 13. Qualifier et interpréter l'événement - Un " politicide " 000 Une subversion européenne - Achiary, un chef charismatique - III / À l'ombre de la raison d'État, l'illusoire refondation du système colonial. 1945-1954 - 14. La recomposition politique en 1945 - Le repli des Européens - Le repli des Algériens de Guelma - Les élections de 1945 : recomposition familiale et politique à Guelma - Que restait-il du monde du contact ? - Les changements dans l'administration - 15. Quelle justice ? Mai 1945-printemps 1946 - Le tribunal militaire de Constantine et les Algériens - Les condamnations - Les procès - Le tribunal militaire de Constantine et les Européens de Guelma - Les commissions rogatoires du juge d'instruction militaire - Les aléas de la subordination de la justice au pouvoir politique - Effacer les spécificités guelmoises - 16. L'amnistie de 1946, " un cataplasme sur une jambe de bois " - Nécessité et limites d'une amnistie - La campagne en faveur d'une loi - La loi d'amnistie du 9 mars 1946 - L'application de la loi - 17. Raison d'État, déni et impunité - Une politique d'indemnisation partiale - L'achat du " retrait des plaintes " - Le mystérieux prêt consenti à Abdelkrim Faci - L'impossible régularisation de l'état civil des disparus : le déni - Une " comédie judiciaire " : l'arrestation d'Achiary et les divisions de la Résistance - Face à une raison d'État pernicieuse - 18. L'invention des " disparus " - La construction d'un récit mensonger - Porter plainte, retourner les normes du colonisateur - Lenteur et inefficacité des enquêtes - La légalité et les règles au service du mensonge - Gendarmes et policiers " exemptés " - 19. L'impossible réforme - Le statut de l'Algérie vidé de sa substance - Le coup de grâce gaulliste 000 L'institution de la fraude électorale - Conclusion. Ultras des champs, ultras des villes - Notes - Sources - Bibliographie - Index.