Dans la continuité des propos tenus par Nicolas Sarkozy durant sa campagne électorale de 2007 sur le thème du « refus de la repentance » à propos du passé colonial de la France, trois faits récents témoignent de ce que l'éloge de la colonisation et les tentatives de réhabiliter les plus farouches partisans de son maintien sont, de manière inquiétante, remis à l'ordre du jour.
D'abord, la loi du 23 février 2005 qui demandait que « les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord » vient d'être exhumée et réactivée. Bien que, devant les polémiques qu'elle avait suscitée, le président de la République d'alors avait eu la sagesse de faire retirer cette phrase de son article 4 et, en même temps, de ne pas appliquer son article 3 qui prévoyait la création dans le même esprit d'une Fondation pour la mémoire de la guerre d'Algérie, le secrétaire d'État à la Défense et aux Anciens Combattants Hubert Falco a installé, le 19 octobre, à l'Hôtel des Invalides, ladite Fondation, avec pour vice-président celui qui avait été le principal artisan de la loi de 2005, Hamlaoui Mekachera.
Parmi les quinze membres de son conseil d'administration, il a annoncé que siégeait, outre Mekachera et cinq représentants de l'État, un quarteron de généraux signataires en 2002 d'un manifeste affirmant que « ce qui a caractérisé l'action de l'armée française en Algérie ce fut d'abord sa lutte contre toutes les formes de torture » : les généraux Bertrand de La Presle, François Meyer, Jean Salvan et Pierre de Percin. Le Livre Blanc de l'armée française en Algérie dont ce texte constitue la préface, paru la même année, dénonce, comme au plus fort de la Bataille d'Alger, la soi-disant « campagne de désinformation » sur le recours par l'armée française à la torture, dont se rendraient coupables des quotidiens comme Le Monde, L'Humanité et Libération. Et déplore que des instances universitaires aient permis la soutenance en 2000 de la thèse de l'historienne Raphaëlle Branche, L'Armée et la Torture dans la guerre d'Algérie, pourtant primée à l'Institut politique de Paris par la mention très bien et les félicitations d'un jury unanime et parfaitement qualifié.
C'est à ce conseil d'administration qu'il reviendra de choisir le conseil scientifique de ladite Fondation, en nommant, selon les termes d'Hubert Falco, « les chercheurs qui lui sembleront le plus à même d'apporter leur pierre singulière à l'édifice de la mémoire ». Rien d'étonnant qu'en raison de la défiance des historiens face à une telle institution, il ne soit pas encore parvenu à annoncer la composition du conseil scientifique.
Bien qu'il mette en avant les thèmes de la réconciliation et de la recherche de l'apaisement, il apparaît que l'objectif réel poursuivi par ce secrétaire d'État, par ailleurs maire de Toulon, est de tenter de gagner les faveurs des jusqu'au-boutistes de l'Algérie française et anciens de l'OAS nombreux dans la droite extrême, en lesquels il voit une réserve de voix utile pour les prochaines échéances électorales.
Deux autres faits récents témoignent de la même recherche d'un rapprochement alarmant. À Marignane, en 2005, le maire UMP, ex-Front national, Daniel Simonpieri avait, à la demande des anciens de l'OAS regroupés dans l'Adimad (Amicale pour la défense des intérêts moraux et matériels des anciens détenus et exilés politiques de l'Algérie française), permis l'érection dans un cimetière municipal d'un monument en hommage aux tueurs de l'OAS jugés et fusillés, monument dont le tribunal administratif de Marseille avait ordonné en 2008 le retrait (en raison de l'absence d'un vote en conseil municipal).
Le nouveau maire divers droite, Éric Le Dissès, avait appliqué la décision de justice et défendu l'idée que seul un monument voué à tous les morts de la guerre d'Algérie serait légitime. Puis, changeant d'avis à l'approche de prochains scrutins, il a fait voter le 27 octobre par son conseil municipal la réinstallation de la stèle « aux combattants tombés pour que vive l'Algérie française ». Tandis que le chef local de l'UMP Simonpieri faisait l'éloge en plein conseil de « ceux qui ont choisi la voie de l'honneur, combattant celui et ceux qui avaient renié leur parole », et qui se sont « engagés dans l'Organisation armée secrète, commandée par le général Salan ».
Peu avant, le 22 octobre, à Pau, dans l'enceinte de l'École des troupes aéroportées (Etap) et en présence du colonel qui la commande et des représentants de diverses autorités militaires, a eu lieu une cérémonie en l'honneur du colonel Pierre Château-Jobert, l'un des organisateurs du putsch d'Alger d'avril 1961, puis commandant de l'OAS dans le Constantinois, au cours de laquelle un buste à son effigie a été inauguré. Cela en présence aussi de plusieurs membres de l'Adimad venus avec leur drapeau, dont son président, Jean-François Collin. Ce dernier a été à l'origine, en février 1962, de la tentative d'assassinat, sur son lit de l'hôpital militaire du Val-de-Grâce, de Yves Le Tac, compagnon de la Libération et frère d'un ministre gaulliste, alors soigné pour avoir subi plusieurs attentats de l'OAS en Algérie dont il avait réchappé.
Quand, sur différents thèmes relatifs aux Roms ou à l'immigration, on a vu les chefs de la majorité présidentielle chercher à recueillir les faveurs de la droite la plus extrême, de nombreuses voix se sont levées. Serait-il concevable que ces faits convergents qui visent à exhumer le thème de l'« œuvre civilisatrice » de la France aux colonies et à réhabiliter ceux qui ont dérivé vers le terrorisme pour tenter de maintenir à toute force l'Algérie française ne suscitent pas la même indignation ?