Communiqués

Algérie : le général-major Khaled Nezzar contre le lieutenant Habib Souaïdia
Compte rendu du jugement du 27 septembre 2002
30 septembre 2002

République française
Au nom du peuple français
Tribunal de grande instance de Paris, 17e chambre, chambre de la presse

Jugement du 27 septembre 2002

N° d’affaire : 0125405790

Procédure d’audience

Par exploits d’huissier en date du 24 août 2001, M. Khaled Nezzar, de nationalité algérienne, général en retraite de l’armée algérienne et ancien ministre de la Défense, a fait citer devant ce tribunal (17e chambre correctionnelle, chambre de la presse), à l’audience du 2 octobre suivant, M. Marc Tessier, président de la chaîne télévisée La Cinquième, M. Habib Souaïdia, et la société de télévision La Cinquième, pour y répondre, respectivement en qualité d’auteur, de complice et de civilement responsable, du délit de diffamation publique envers un particulier, prévu et puni par les articles 29 alinéa 1er et 32 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881 et les voir condamner à lui verser, avec exécution provisoire, la somme de 1 franc (0,15 euro) à titre de dommages et intérêts et celle de 100 000 francs (15 244,90 euros) sur le fondement de l’article 475-1 du code de procédure pénale, outre diverses mesures de publication.
Pour fonder ses prétentions, M. Nezzar se réfère à la diffusion, le 27 mai 2001, sur la chaîne La Cinquième, d’une émission intitulée « Droits d’auteurs, spécial Algérie », d’une durée de cinquante minutes, au cours de laquelle plusieurs écrivains ont été amenés à s’exprimer sur des livres qu’ils avaient consacrés à l’Algérie.
Dans ce cadre, M. Souaïdia a été invité pour évoquer l’ouvrage dont il était l’auteur, intitulé La Sale Guerre, publié aux Éditions La Découverte, ayant pour objet de relater son expérience d’officier dans l’armée algérienne depuis 1989, alors que son pays connaissait une situation de crise depuis l’année 1988.
Or M. Nezzar estime que, lors de cette émission, M. Souaïdia a tenu des propos dif-famatoires à son égard.
À l’audience du 2 octobre 2001, le tribunal a fixé à 3 000 francs (457,35 euros) la consignation, laquelle a été versée le 26 novembre 2001, et renvoyé contradictoirement l’examen de l’affaire à l’audience du 11 décembre 2001 pour fixer.
Ensuite, l’affaire a été renvoyée successivement aux audiences des 5 mars et 4 juin 2002 pour fixer, puis à celle du 1er juillet 2002, à 13 h 30, pour plaider. À cette date, M. Marc Tessier et la société civilement responsable étaient représentés par leur conseil, M. le bâtonnier du Granrut. M. Habib Souaïdia était présent, assisté de ses conseils, Me Comte et Me Bourdon. La partie civile, M. Nezzar, également présente, était assistée de ses conseils, M. le bâtonnier Farthouat et Me Gorny.
In limine litis, les conseils de M. Souaïdia ont déposé des conclusions, auxquelles s’est associé M. le bâtonnier du Granrut, demandant au tribunal d’annuler l’exploit introductif d’instance, aux motifs que, d’une part, les passages incriminés n’étaient pas qualifiés de manière claire au regard des différentes diffamations envisagées par la loi du 29 juillet 1881, d’autre part, il existait une inadéquation entre les propos incriminés et ceux réellement tenus et, enfin, les conditions de délivrance de l’exploit introductif d’instance à M. Souaïdia avaient violé les droits de ce dernier.
Les conseils de la défense ont développé leurs arguments au soutien de cette pré-tention formelle. La parole a ensuite été donnée, sur cet incident, aux avocats de la partie civile et au ministère public, la défense s’étant exprimée en dernier. Le tribunal, après en avoir délibéré, a décidé de joindre ces incidents au fond.
Ensuite, après visionnage des passages de l’émission incriminée, il a été procédé à l’interrogatoire de M. Souaïdia, puis à l’audition de la partie civile.
L’affaire a été renvoyée en continuation à l’audience du 2 juillet 2002 à 9 h 30. Elle a été ensuite renvoyée, successivement, dans les mêmes formes, aux audiences du même jour à 13 h 30, du 3 juillet 2002 à 9 h 30 et 13 h 30, du 4 juillet 2002, à 9 h 30 et 13 h 30, pour audition des différents témoins cités par les parties.
Un nouveau renvoi en continuation a alors été décidé pour le 5 juillet 2002 à 9 h 30, date à laquelle les conseils de la partie civile ont plaidé. Un dernier renvoi a été décidé pour le même jour à 13 h 30. Le ministère public a alors été entendu en ses réquisitions et les avocats des prévenus et de la société civilement responsable en leurs plaidoiries, la défense ayant eu la parole en dernier, conformément à la loi.
À l’issue des débats, au cours desquels un traducteur-interprète était présent, l’affaire a été mise en délibéré et le président a, conformément aux dispositions de l’article 462 alinéa 2 du code de procédure pénale, informé les parties que le jugement serait prononcé a l’audience du 27 septembre 2002, à 13 h 30.
À cette date, la décision suivante a été rendue.

Sur les exceptions soulevées in limine litis

Aux termes des conclusions qu’ils ont déposées, les prévenus demandent au tribunal de constater la nullité de l’exploit introductif d’instance sur le fondement des trois motifs, précédemment cités, qui seront successivement examinés.
La partie civile, pour sa part, a conclu au rejet des prétentions de forme émises par la défense.

1) Sur la qualification des faits incriminés

Argumentation de la défense

Il est fait tout d’abord valoir par la défense que, si la partie civile a indiqué, dans la citation délivrée, qu’elle considérait les propos par elle poursuivis comme constitutifs d’une diffamation prévue par l’article 29 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881, elle n’a, dans le corps de cet acte, aucunement qualifié les faits, au regard des différentes diffamations envisagées par ladite loi. En outre, dans le dispositif de ce même acte, elle s’est référée à une « diffamation publique envers une personne physique », nullement prévue par la loi, l’article 32 alinéa 1er, visé dans ce dispositif, sanctionnant la « diffamation publique envers un particulier ».
De plus, la partie civile étant titulaire d’un passeport diplomatique délivré par les autorités algériennes, lesquelles l’avaient investie d’une mission officielle, une nou-velle ambiguïté existerait quant à l’application des dispositions de l’article 32 alinéa 1er visé par M. Nezzar.
Motifs du tribunal
Il doit être tout d’abord observé que, dans le dispositif de son acte introductif, la partie civile a expressément indiqué qu’elle entendait poursuivre les propos incriminés par elle sur le fondement des articles 29 alinéa 1er et 32 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881, le dernier texte ainsi mentionné sanctionnant, de façon exclusive, la diffamation commise envers un particulier.
Dans ces conditions, si M. Nezzar a employé, dans le dispositif de la citation, la formule « diffamation envers une personne physique », laquelle n’est effectivement pas prévue comme telle par la loi, le visa des textes prévoyant et sanctionnant l’infraction poursuivie permettait à la défense de comprendre sans ambiguïté que les propos incriminés l’étaient au titre de la diffamation publique envers un particulier.
De plus, la partie civile n’a aucunement fait référence, dans l’acte de citation, a l’existence d’une fonction ou mission diplomatique, susceptible de donner lieu a application des dispositions de l’article 37 de la loi précitée.
Enfin, il doit être rappelé que si M. Nezzar a évoqué, dans l’acte introductif, sa qua-lité d’ancien ministre algérien, l’article 31 alinéa 1er de la loi sur la presse, qui sanc-tionne, de façon spécifique, la diffamation commise, notamment, envers un « membre du ministère », dans l’exercice de ses fonctions, est inapplicable aux étrangers possédant une telle qualité.
De l’ensemble de ces éléments, il doit être conclu que M. Nezzar a entendu agir au titre de la diffamation commise envers particulier, prévue et réprimée par les arti-cles 29 alinéa 1er et 32 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881 et que la défense n’a pu se méprendre sur la nature du fondement choisi par le requérant.
En conséquence, ce premier moyen de nullité de la citation sera rejeté.

2) Sur la réalité des propos tenus

Argumentation de la défense

Il est fait encore valoir par la défense qu’il existerait une inadéquation entre les propos poursuivis par M. Nezzar dans la citation qu’il a fait délivrer et ceux qui auraient été réellement tenus par M. Souaïdia dans l’émission incriminée.
Ainsi, est mentionnée, dans l’acte introductif d’instance, la phrase qu’aurait prononcée M. Souaïdia : « Il n’a pas le courage de dire : “Si vous avez quelque chose contre moi, je suis là. Jugez-moi”. »
Or le script de l’émission rapporterait, sur ce point précis, le propos suivant : « Ils n’ont pas le courage de dire : “Si vous avez quelque chose contre moi, je suis là. Jugez-moi…” »
La substitution d’un pluriel par un singulier entraînerait en conséquence une dénatu-ration du texte, contraire aux exigences de l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881.

Motifs du tribunal

Il n’est pas contestable que M. Nezzar a, dans la citation, mentionné, de façon pré-cise, les propos qu’il attribuait à M. Souaïdia et qu’il estimait diffamatoires à son égard : il s’ensuit que les exigences de l’article 53 de la loi sur la presse, ont été, sur ce point, satisfaites.
Concernant l’existence d’une dénaturation éventuelle des propos effectivement tenus, cette question ne peut être dissociée du fond de l’affaire, puisqu’elle nécessite un examen des termes employés par le prévenu.
Ce moyen sera également rejeté.

3) Sur la régularité de l’acte délivré à M. Souaïdia

Argumentation de la défense

Il est fait valoir enfin, dans les conclusions déposées pour M. Souaïdia, que la déli-vrance de l’acte introductif le concernant serait irrégulière.
En effet, la citation mentionne que l’intéressé est domicilié chez l’éditeur ayant pu-blié son livre, à savoir les Éditions La Découverte, 9 bis, rue Abel-Hovelacque à Paris 13e, alors qu’il est de jurisprudence constante que l’auteur ne peut être cité au siège de son éditeur, sans que s’ensuive, nécessairement, une violation des droits qu’il tire de l’article 55 de la loi du 29 juillet 1881, lui permettant de prouver la vérité des faits diffamatoires dans un délai de dix jours à compter de la délivrance de la citation, dès lors que le siège de l’éditeur ne peut être considéré comme étant le domicile réel de l’auteur.
En outre, en l’espèce, le titre de voyage de M. Souaïdia mentionne que l’intéressé demeure 54, rue Mouzaïa à Paris 19e. Or, après une tentative de signification de l’exploit au siège des Éditions La Découverte, l’huissier audiencier a découvert une autre adresse de ce prévenu, 13 bis, rue Parmentier à Paris 11e, chez Mme Hanna, adresse à laquelle l’acte a été délivré en mairie, l’intéressé n’ayant pu prendre connaissance de la citation que le 3 septembre 2001, alors que le délai de dix jours précité était presque expiré.
Ainsi, les droits de M. Souaïdia auraient été violés, puisque l’intéressé aurait été mis dans l’impossibilité de faire une offre de preuve et d’exercer un droit fondamental prévu par la loi sur la presse.
Motifs du tribunal
L’examen de la signification de la citation délivrée à M. Souaïdia fait apparaître que, si l’acte indique effectivement l’adresse du prévenu chez son éditeur, il porte également la mention selon laquelle l’huissier a appris qu’il était « actuellement » do-micilié chez Mme Yahia Hanna, 13 bis, avenue Parmentier à Paris 11e. Après avoir vérifié que l’intéressé résidait bien à cette adresse et que le nom de Hanna figurait sur la boîte aux lettres n° 44, l’huissier a délivré l’acte, le 24 août 2001, à la mairie du 11e arrondissement de Paris, personne n’ayant pu le recevoir à l’adresse précédemment indiquée. Il a alors, conformément aux dispositions de l’article 558 du code de procédure pénale, adressé une lettre recommandée avec avis de réception, invitant le destinataire à retirer la copie de l’acte en mairie. M. Souaïdia prenant connaissance de l’ensemble de ces éléments en signant l’accusé de réception de la lettre recommandée le 3 septembre 2001, ce qui n’est pas contesté.
Il doit être observé tout d’abord que, contrairement à ce qui est soutenu par la dé-fense, l’adresse de M. Souaïdia « chez Mme Hanna, 13 bis, avenue Parmentier à Paris 11e », ne saurait être considérée comme une ancienne adresse, dès lors, d’une part, que l’huissier précise clairement les vérifications auxquelles il a procédé quant à la réalité de cette domiciliation et que, d’autre part, le prévenu a signé l’accusé de réception de la lettre recommandée parvenue à l’adresse de Mme Hanna.
Quant au délai de dix jours prévu par l’article 55 de la loi du 29 juillet 1881, le prévenu se borne à faire valoir que celui-ci était « presque expiré » lorsque, le 3 septembre, il a pris connaissance de l’acte déposé en mairie, mais il n’a, au demeurant, pas notifié d’offre de preuve quelconque, dont la recevabilité aurait, alors, pu être examinée au regard de l’impossibilité absolue dans laquelle il se serait trouvé de la formuler pendant le délai.
En conséquence, les modalités de signification de l’acte délivré à M. Souaïdia ne ressortent pas comme ayant porté atteinte aux droits légitimes de sa défense, et en particulier à ceux qu’il tire des dispositions spécifiques de la loi sur la presse.
Ainsi, ce dernier moyen de nullité, avancé par la défense, sera également rejeté.
Sur l’application de la loi d’amnistie
Il convient d’observer qu’en cours de délibéré est intervenue la loi du 6 août 2002 portant amnistie, laquelle, en ses dispositions de l’article 2-3e, a prévu qu’étaient amnistiés de plein droit les délits prévus par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, dès lors qu’ils ont été commis avant le 17 mai 2002.
Le délit de diffamation publique envers un particulier, prévu et puni par les articles 29 alinéa 1er et 32 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881, entre dans cette catégorie d’infractions et ne figure pas dans la liste des exceptions prévues par la loi du 6 août 2002.
Les faits reprochés aux prévenus remontant au 27 mai 2001, il convient donc de constater l’extinction de l’action publique, par application des dispositions de l’article 6 alinéa 1er du code de procédure pénale.
Toutefois, aux termes de l’article 21 alinéa 3 de la loi précitée portant amnistie, « si la juridiction de jugement a été saisie de l’action publique avant la publication de la-dite toi, cette juridiction reste compétente pour statuer, le cas échéant, sur les intérêts civils ». Tel est le cas en l’espèce, les citations introductives d’instance ayant été délivrées le 24 août 2001. Il convient donc pour le tribunal d’examiner les éléments constitutifs du délit et les arguments des parties.
Au fond

1) Rappel des faits

M. Habib Souaïdia est né en 1969 en Algérie, où il a vécu et poursuivi sa scolarité. S’étant orienté vers la carrière militaire, il a suivi des formations dans des écoles spécialisées, puis a exercé les fonctions de sous-lieutenant dans diverses unités, au moment où débutaient, en 1988, les événements dramatiques que devait connaître l’Algérie durant plusieurs années.
Après une condamnation en 1995 à une peine de quatre ans d’emprisonnement, l’intéressé, libéré en 1999, a fui son pays en avril 2000, pour gagner la France, où il a sollicité et obtenu le statut de réfugié politique.
Souhaitant témoigner de l’expérience qui avait été la sienne, il a, par l’intermédiaire de Mohammed Sifaoui, réfugié algérien comme lui, rencontré M. François Gèze, responsable des Éditions La Découverte, et fait publier, le 8 février 2001, un ouvrage intitulé La Sale Guerre.
Relatant dans ce livre son expérience militaire en Algérie, au sein d’unités spéciales affectées au combat contre les terroristes islamistes, M. Habib Souaïdia stigmatise le comportement adopté par l’Armée nationale populaire algérienne, depuis les émeutes sanglantes ayant abouti à l’état de siège proclamé le 6 octobre 1988, en dénonçant les exactions commises par les militaires. Il leur impute ainsi leur participation à des massacres, des assassinats et des actes de torture à l’endroit de la population civile, parfois sous couvert de menées imputées aux terroristes islamistes. Le prévenu affirme également que l’année n’a pas hésité à procéder à des exécutions sommaires sur des personnes simplement présumées appartenir à des organisations terroristes.
L’auteur précise dans son ouvrage que sa propre arrestation est intervenue à un moment où il a manifesté sa désapprobation par rapport aux agissements commis par l’armée et que c’est dans ces conditions, après avoir été libéré, craignant pour sa propre sécurité, qu’il a décidé de se réfugier en France.
Il convient de préciser qu’une discussion s’est engagée entre le prévenu et M. Sifaoui, témoin entendu à l’audience, au sujet des conditions dans lesquelles le li-vre avait été rédigé et publié, M. Sifaoui dénonçant en particulier une dénaturation du témoignage de M. Souaïdia par M. Gèze. Cette polémique a donné lieu à une action judiciaire de ce dernier, du chef de diffamation publique envers particulier, à l’encontre de M. Sifaoui, lequel a été relaxé par jugement du 17 octobre 2001 de cette chambre, au motif, notamment, que la controverse entre les parties revêtait un tour politique manifeste, devant autoriser une certaine liberté de ton.
C’est pour s’exprimer au sujet de son livre que M. Souaïdia a été invité par la chaîne télévisée « La Cinquième », en compagnie de quatre autres écrivains ayant eux-mêmes rédigé des ouvrages sur la situation politique et sociale de l’Algérie depuis la guerre d’indépendance, et ce, en présence d’un animateur journaliste, M. Frédéric Fer-ney.
Cette émission, intitulée « Droit d’auteurs, spécial Algérie », a fait l’objet d’une fixation préalable dans les conditions du direct et a été diffusée sur cette chaîne le 27 mai 2001, à partir de 11 heures et pour une durée de cinquante minutes.
Dans ce cadre, M. Souaïdia, rappelant sa propre expérience, a mis en cause la responsabilité des militaires algériens, et en particulier celle du général Nezzar, ancien ministre de la Défense (en fonction notamment lors de l’interruption du processus électoral en janvier 1992) et ancien membre du Haut Comité d’État mis en place à la suite de la démission du président Chadli Bendjedid.
Ce sont trois passages de ces propos, qu’il convient de rappeler, que M. Nezzar es-time diffamatoires à son égard et qu’il incrimine dans le cadre de l’instance actuelle.

- premier passage :

M. Souaïdia : « Je vais vous dire une chose. C’est le contraire de ce qui est arrivé aux Français pendant la guerre de libération. À l’époque, il y avait des hommes politi-ques en France. Chez nous, il n’y en a pas. Les hommes politiques sont des généraux, c’est eux qui décident. Il n’y a pas de président. Cela fait dix années qu’il n’y a pas de président, plus même.
« Il y avait des généraux, ce sont eux les politiciens, c’est eux les décideurs, c’est eux qui ont fait cette guerre. C’est eux qui ont tué des milliers de gens pour rien du tout. C’est eux qui ont décidé d’arrêter le processus électoral, c’est eux les vrais res-ponsables, c’est eux les vrais responsables.
« Pour moi, ces gens-là, il n’y a aucun pardon, on ne peut pas pardonner.
« Je ne peux pas pardonner au général Massu et au général Aussaresses les crimes qu’ils ont commis, comme je ne peux pas pardonner au général Nezzar, ex-ministre de la Défense.
« Il faut qu’on juge les coupables. »


- deuxième passage :

M. Souaïdia : « Ils sont trop lâches. Un ministre de la Défense nationale qui dit qu’il a protégé la République ! De qui ces gens parlent ?
« Lui quitte la France à minuit.
« Il n’a pas le courage de dire : “Si vous avez quelque chose contre moi, je suis là, jugez-moi.” Voilà, ce n’est pas la question des grades qu’il porte sur les épaules, car pour moi c’est un [inaudible], c’est pas un général-major. Pour moi, quelqu’un comme ça, il doit passer devant un tribunal. Je condamne la France. »


- troisième passage :

Journaliste : « Le soutien de la guerre par la vente d’armes et le blanchiment de centaines de millions de dollars avec la complicité des autorités française »,
M. Souaïdia : « Non, mais il ne faut pas oublier une chose, ces généraux comme Nezzar, c’est un déserteur de l’armée française. »
Journaliste : « Ce que vous montrez très bien, c’est donc quand vous sortez vous dé-couvrez votre pays, vous remarquez que la guerre a profité à certains, vous dites, mi-litaires, douaniers, islamistes, hommes politiques, se sont enrichis pendant ces années de guerre par je ne sais quel miracle.
« C’est un livre très amer, votre carrière est brisée. »

M. Souaïdia : « Pas uniquement moi tout seul, tous ces jeunes Algériens, mêmes les insoumis, pas uniquement moi.
« La guerre, les stratèges pensent la guerre, ce sont les fous qui mènent cette guerre.
« Ce sont les lâches qui en profitent, c’est exactement ce qui est arrivé, chez nous, ce sont les ex-déserteurs de l’armée française qui ont mené le pays vers l’anarchie, vers la faillite.
« Ce sont eux les responsables. »


M. Nezzar estime que le prévenu lui attribue non seulement la responsabilité de l’interruption du processus électoral, mais également celle d’avoir commis des tueries et des crimes, d’être un lâche ayant profité de la situation spécifique en Algérie en s’enrichissant personnellement au détriment des intérêts de son pays, et enfin de faire partie des ex-déserteurs de l’armée française, coupables d’avoir mené l’Algérie à l’anarchie et à la faillite.
Exposant à l’audience le sens de son action, il a fait valoir, à titre liminaire, qu’il avait été personnellement attaqué par M. Souaïdia, dans des termes qui ne sauraient être reconnus comme relevant de la simple polémique.
Il a souligné également le décalage existant entre la mise en cause dont il avait fait l’objet dans cette émission et les termes proprement dits du livre de M. Souaïdia, ex-pliquant ainsi les raisons pour lesquelles il n’avait pas engagé d’action judiciaire relativement à l’ouvrage lui-même, dans la mesure où, d’une part, la personne principalement visée était le général Lamari, et où, d’autre part, le livre ne lui imputait pas de faits de meurtre et de torture, contrairement aux affirmations de M. Souaïdia lors de l’émission télévisée, lesquelles, ainsi qu’il l’a déclaré lors de l’audience, « ont sali l’armée, l’Algérie et son peuple ».
M. Nezzar a encore relevé que, tant dans l’ouvrage que lors de l’émission, le préve-nu avait procédé, de façon constante, par amalgame. Ainsi, il n’avait nullement fait de distinction parmi les victimes des terroristes et celles supposées être de l’armée. Dans le même sens, M. Souaïdia avait attribué la responsabilité de l’ensemble de la situation et de ses conséquences à l’armée et à ses responsables — notamment à la partie civile —, sans faire état de celle, considérée pourtant par M. Nezzar comme essentielle, de ces mêmes terroristes islamistes.
Enfin, la partie civile, de manière solennelle, a tenu a indiquer qu’elle n’avait pour tous revenus que ceux tirés des activités professionnelles qui avaient été les siennes et que son train de vie, relativement modeste, était totalement incompatible avec un enrichissement personnel, lequel, pour être affirmé par M. Souaïdia, n’en était pas moins parfaitement inexistant.

2) Sur le caractère diffamatoire des propos incriminés

On rappellera, en préalable, que la diffamation est définie par l’article 29 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881 comme « toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte a l’honneur ou a la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé ».
Il convient donc à présent de rechercher si les propos incriminés par la partie civile présentent, comme elle le soutient, les caractères ainsi rappelés, en examinant succes-sivement les trois passages retenus par elle.

Premier passage

Il est imputé aux généraux algériens d’avoir confisqué l’ensemble des prérogatives du pouvoir (« Les hommes politiques sont des généraux, c’est eux qui décident ») en interrompant le processus électoral et d’être, à ce titre, les « vrais » responsables de la guerre civile qui en est résultée, se rendant coupables de la mort de milliers d’individus.
Prêter a une personne d’avoir exercé un pouvoir politique ne lui revenant pas de droit, au détriment de ceux qui devraient l’exercer légalement, d’avoir méconnu les règles démocratiques en ayant décidé de mettre fin à des élections et d’avoir, ce faisant, précipité sciemment un pays dans le chaos et la violence, en portant ainsi la res-ponsabilité de la mort de populations, présente incontestablement le caractère diffamatoire que lui attribue la partie civile.
Il est tout aussi avéré que M. Nezzar, visé expressément en sa qualité de général et d’ex-ministre de la Défense, est assimilé aux « décideurs » désignés comme responsa-bles des exactions et du coup d’État dénoncés par le prévenu, lequel conclut qu’il ne peut être pardonné à de tels individus et que ces derniers doivent être jugés.

Deuxième passage

Ces propos se situent dans le droit fil de ceux qui viennent d’être évoqués en ce qu’ils font référence au nécessaire jugement des généraux présentés comme responsables du conflit algérien.
Il est ici attribué au général Nezzar, désigné en sa qualité de « ministre de la Dé-fense », dont il n’est ni contestable, ni contesté d’ailleurs, qu’elle s’applique au plaignant, d’avoir cherché à fuir ses responsabilités, en quittant en pleine nuit, de façon particulièrement précipitée, un pays dans lequel il se trouvait provisoirement, à savoir la France, de peur d’avoir à répondre de ses actes devant un juge français saisi d’une plainte déposée par plusieurs victimes ou familles de disparus algériennes.
Il convient de rappeler que ce passage fait l’objet d’une contestation des prévenus quant à la conformité des propos tenus par M. Souaïdia avec ceux incriminés par l’acte introductif d’instance.
La citation fait état de la phrase : « Il n’a pas le courage de dire : “Si vous avez quelque chose contre moi, je suis là. Jugez-moi”. » Or le script de l’émission rapporterait, sur ce point précis, le propos suivant : « Ils n’ont pas le courage de dire : “Si vous avez quelque chose contre moi, je suis là. Jugez-moi…” »
Il sera tout d’abord rappelé que les propos déférés au tribunal sont ceux qui ont été réellement tenus lors de l’émission, à partir de l’enregistrement, non contesté, qui lui est soumis. Par ailleurs, la distorsion invoquée, à la supposer établie, n’est d’aucune incidence sur le caractère diffamatoire des propos poursuivis, lequel concerne principalement le passage précédemment examiné ainsi que l’identification de la personne visée.
Or, il est établi que M. Nezzar, seul cité au début du passage incriminé (un « ancien ministre de la Défense »), est mis en cause au regard d’un événement précis le concer-nant exclusivement, à savoir les conditions précédemment détaillées de son départ de France, et qu’il est donc incontestablement et prioritairement visé, en dépit de l’utilisation d’un éventuel pluriel.
Ainsi, les propos tenus par M. Souaïdia lors de l’émission télévisée, tout à fait com-préhensibles en eux-mêmes et parfaitement résumés par l’emploi du terme « lâche », présentent M. Nezzar comme ayant fui, alors même qu’il allait devoir s’expliquer sur des faits pour lesquels sa responsabilité était directement mise en cause.
De tels propos portent également atteinte à l’honneur et à la considération de celui qui en est l’objet et présentent donc le caractère diffamatoire que leur attribue la partie civile.

Troisième passage

Ce dernier passage a pour objet de dénoncer la responsabilité d’un groupe — désigné sous la formulation les « déserteurs de l’armée française » (par référence aux militaires initialement engagés au sein de l’armée française et ne l’ayant quittée qu’au moment précis où l’Algérie retrouvait son indépendance) —, au regard de l’actuel conflit algérien.
Selon le prévenu, les intéressés, ressortant comme mus par un opportunisme certain, et auquel le terme de « lâches » est de nouveau appliqué, auraient profité des conflits internes dont souffre actuellement l’Algérie pour s’enrichir personnellement et conduire le pays vers la faillite et l’anarchie.
Nommément mentionné comme faisant partie de ce groupe, M. Nezzar, dont la qualité de déserteur de l’armée française est précisée, fait donc valoir, à juste titre, qu’une telle imputation revêt un caractère attentatoire à son honneur et à sa considération.

3) Sur la bonne foi

Les prévenus, qui n’ont pas fait d’offre de preuve, invoquent le bénéfice de la bonne foi : les imputations diffamatoires étant réputées faites de mauvaise foi, il leur appartient d’en rapporter la preuve contraire.
Il convient tout d’abord de rappeler que M. Souaïdia, qui n’est ni journaliste, ni écrivain professionnel, ne peut se voir opposer les critères habituellement retenus par la jurisprudence pour caractériser la bonne foi.
En effet, le prévenu, dont les déclarations au cours de l’émission litigieuse s’inscrivent dans le cadre d’une polémique, relative à des événements contemporains l’opposant aux responsables de l’armée algérienne, et notamment à M. Nezzar, depuis sa condamnation en Algérie et sa fuite vers la France, s’explique sur les circonstances qui l’ont amené à relater son expérience personnelle au sein d’unités spécialisées de l’armée algérienne.
Le tribunal relève également que les débats, qui ont permis d’entendre les nombreux témoins cités par les parties et d’examiner les pièces produites par celles-ci, ont, par leur richesse et leur intensité, fait ressortir le caractère fortement contrasté des posi-tions soutenues de chaque côté de la barre, ces divergences de vues se reproduisant pour chacun des passages retenus comme diffamatoires, qui seront examinés successivement.

Sur le premier passage

Celui-ci comporte l’allégation selon laquelle les généraux algériens auraient confisqué la réalité du pouvoir, auraient pris la décision d’interrompre le processus électoral et auraient ainsi été directement à l’origine d’événements ayant entraîné la mort de milliers de personnes.
Les débats ont conduit, à cet égard, à distinguer trois étapes successives.

- Le premier tour des élections législatives

Concernant tout d’abord les événements antérieurs à l’interruption du processus électoral, survenu en janvier 1992, on rappellera qu’à la suite d’émeutes sanglantes, en octobre 1988, ayant provoqué la mort de plusieurs centaines de personnes, une nou-velle Constitution a été adoptée en février 1989, ouvrant la voie au multipartisme.
Lors d’élections municipales, en juin 1990, le Front islamique du salut a obtenu une large victoire. C’est dans ce contexte qu’au premier tour des élections législatives, le 26 décembre 1991, ce parti religieux a obtenu cent quatre-vingt-huit sièges, contre quinze au Front de libération nationale, vingt-cinq au Front des forces socialistes et trois à des indépendants.
Faisant valoir que ce résultat amenait au pouvoir un parti religieux fanatique qui mettait directement en danger la démocratie et les libertés publiques et que l’emprise du FIS était telle qu’il était impossible de prendre une quelconque mesure en vue de trouver une issue à cette situation, laquelle devait nécessairement conduire à l’interruption du processus électoral, la partie civile a notamment invoqué :
- le témoignage de M. Sid-Ahmed Ghozali : ministre des Affaires étrangères en 1991, appelé à exercer les fonctions de chef du gouvernement à la demande du prési-dent Chadli, en juin de cette même année, celui-ci a souligné le fait que sa nomination, ainsi que l’exercice de sa mission, avaient été exclusives d’une intervention des militaires. Selon ce témoin, le fait, pour le FIS, de détenir la quasi totalité des communes, avait été déterminant pour le résultat des élections législatives, dans la mesure où ce parti avait manipulé les listes électorales dans chaque municipalité et que cette fraude avait été mise évidence par l’annulation ultérieure d’un million de votes et par l’impossibilité, pour un nombre équivalent de citoyens, de trouver leurs noms sur les listes électorales ;
- les déclarations de M. Ali Haroun, ministre des Droits de l’homme de juin 1991 a janvier 1992, puis membre du Haut Comité d’État, lequel, comparant la situation algé-rienne de celle époque à celle de l’Allemagne en 1933, a affirmé qu’à la suite des élections locales, les islamistes étaient devenus les plus puissants, que c’étaient eux qui avaient préparé les élections législatives, et que leur action avait été marquée par de nombreux agissements contraires à la sincérité du scrutin (cartes d’électeurs non-distribuées, absence de noms sur les listes électorales, présence illicite dans les bu
reaux de vote).
Pour sa part, la défense, tout en ne méconnaissant pas l’impact de l’implantation du FIS à la faveur des élections locales, a soutenu que plusieurs solutions auraient pu être mises en œuvre, de nature à assurer un déroulement démocratique des élections légi-slatives, s’appuyant à cet égard :
- sur l’audition de M. Aït-Ahmed, président du Front des forces socialistes : celui-ci a en effet prétendu que si les élections s’étaient déroulées en juin 1992, comme cela était initialement prévu, le FIS n’aurait pas été en mesure de sortir vainqueur du scrutin. Selon l’intéressé, c’était, en fait, les décisions prises, à l’époque, par le pouvoir (proclamation de l’état de siège, redécoupage électoral, nouvelle loi électorale) qui avaient conduit à la victoire du FIS. M. Aït-Ahmed a d’ailleurs ajouté qu’après le premier tour des élections, il avait lui-même cherché à obtenir un sursaut du peuple algérien, au moyen d’une manifestation qu’il avait organisée le 2 janvier 1992, sous le slo-gan « Ni État policier, ni République islamiste », et qu’il était pareillement possible de contester l’élection de certains députés, du fait de fraudes observées ;
- sur les affirmations de Mme José Garçon, journaliste spécialiste de la question al-gérienne, selon laquelle aucun moyen politique légal n’avait été mis en œuvre pour empêcher que les islamistes sortent vainqueurs des élections législatives, alors, notamment, qu’il était possible, pour le gouvernement, de faire en sorte que le découpage électoral ne favorise pas ce parti.

- L’interruption du processus électoral

La dualité des positions des parties, mise en évidence concernant le premier tour des élections législatives, est apparue, de la même façon, à l’examen des motivations de la décision d’interruption du processus électoral et des conditions dans lesquelles celle-ci est intervenue.
Ainsi, la partie civile a soutenu que ce choix politique était devenu inévitable, seule une décision de cette nature étant susceptible d’empêcher une prise en main définitive du pouvoir par le FIS.
Les témoins cités par M. Nezzar ont ainsi insisté sur les changements intervenus au sein de la société sous l’influence du FIS, notamment par les habitudes vestimentaires ou alimentaires ou par la recrudescence de prêches exaltés.
Donnant à la manifestation du 2 janvier 1992 un sens profondément différent de celui avancé par M. Aït-Ahmed, ils ont affirmé que la population algérienne avait, à cette occasion, appelé à l’interruption du processus électoral ; de plus, cette décision était devenue inéluctable, dès lors que le président Chadli avait démissionné, ce qui avait entraîné la mise en place du Haut Comité d’État. Sur ce point précis, la partie civile a souligné que le président avait pris sa décision librement, M. Ghozali évoquant même une attitude démissionnaire, voire dépressive, de longue date de l’intéressé.
La défense a fait valoir, au sujet de cet événement, présenté comme décisif, une tout autre approche. Plusieurs témoins ont ainsi évoqué l’existence d’un véritable coup d’État, au cours duquel le président Chadli avait été contraint à la démission.
Concernant la responsabilité de ces événements, le témoin Aït-Ahmed l’a attribuée à ce qu’il a nommé une « mafia politico-militaire », ajoutant que, selon lui, M. Nezzar portait une grande responsabilité dans l’interruption du processus électoral, alors pourtant que la partie civile lui avait auparavant personnellement déclaré, dans le cadre d’une rencontre entre les deux hommes à la suite du premier tour des élections : « Nous n’interviendrons jamais. »
Enfin, la défense a souligné que, même en cas de victoire du FIS, la présence, au sein de ce mouvement, de personnalités modérées était de nature à atténuer grandement les perspectives pessimistes — présentées comme définitives — annoncées par les partisans de l’interruption du processus électoral.

- Les conséquences de l’interruption du processus électoral

Si l’audience a montré que plusieurs interprétations pouvaient être données aux événements qui viennent d’être relatés, il est constant qu’à partir de leur survenance, l’Algérie a basculé dans une situation de violence, qui, pour avoir existé antérieure-ment, est alors devenue extrême, ainsi qu’en attestent les témoignages de personnes ayant, de façon personnelle, été les victimes de cet état de fait.
Mais, ici encore, les débats ont mis en exergue les appréciations très différentes, voire antagonistes, pouvant être portées sur des événements identiques.
Concernant la responsabilité, imputable, selon la partie civile, aux islamistes, dans la perpétration de nombreux massacres, le tribunal a entendu :
- le témoignage de Mme Hadjrissa épouse Ghazi Attika et de sa sœur Mme Hadjrissa Saâdia, qui ont relaté dans quelles conditions leur père, enlevé par les terroristes, avait été tué, elles-mêmes profitant de la protection des policiers et des officiers de l’armée. Un mois plus tard, les mêmes terroristes, faisant référence au décès de leur père, avaient emmené les deux sœurs, puis les avaient retenues contre leur gré dans le maquis, en les exploitant et en les violant à plusieurs reprises, les deux femmes ne devant la vie sauve qu’à leur fuite et au fait qu’elles avaient été de nouveau recueillies par des militaires ;
- celui de Mme Zamine, qui a fait état des circonstances particulièrement dramatiques dans lesquelles son mari avait été enlevé puis tué par les islamistes, affirmant d’ailleurs connaître ces personnes et les fuir désormais ;
- la déposition de M. Daho Mohamed, relative à l’assassinat de son enfant de quinze ans : contrairement aux affirmations contenues dans le livre d’Habib Souaïdia — selon lequel l’enfant aurait été brûlé vif par les militaires —, le témoin a expliqué que son fils avait, en réalité, été égorgé parce qu’il revendait des cigarettes à Lakhdaria, alors qu’une telle vente était interdite par les islamistes ; ce père a également été formel sur le fait que cet acte était l’œuvre des terroristes, dont il a d’ailleurs cité les noms à la barre ;
- les déclarations de M. Hamid Bouamra, présent à Bentalha le 22 septembre 1997, où plusieurs centaines de personnes devaient être assassinées. Le témoin a imputé sans ambiguïté la responsabilité de ce massacre aux terroristes islamistes (dont il devait également citer certains noms), précisant que c’était l’intervention de l’armée qui avait empêché ces individus de poursuivre leurs actions criminelles.
Concernant, de façon plus générale, la situation que connaissait alors l’Algérie, M. Nezzar a justifié les mesures d’exception et de restriction des libertés individuelles par la gravité des faits commis et n’a pas démenti que, dans ce cadre exceptionnel, des « dépassements » aient pu avoir lieu de la part de certains militaires, indiquant cepen-dant que ces derniers avaient été sanctionnés et que des informations précises sur ce point avaient été adressées à des représentants de l’ONU s’étant rendus sur place.
L’argument, invoqué par la partie civile, quant à la mise en œuvre de garanties concernant les droits de l’homme a été confirmé par M. Haroun, qui avait occupé les fonctions de ministre dans ce domaine, ainsi que par M. Rezzag-Bara, qui a déclaré assurer, depuis l’année 1992, la direction d’un organisme des droits de l’homme.
En définitive, la conclusion retenue par M. Nezzar et par plusieurs témoins, consiste à affirmer que l’accusation d’avoir délibérément interrompu le processus électoral relèverait d’un complot visant à déstabiliser l’armée, alors qu’elle était le seul rempart contre les menées islamistes, pour finalement aboutir à un effondrement de l’État, M. Souaïdia apparaissant, dans ce contexte, comme l’objet d’une manipulation habile de la part des terroristes.
Les pièces et témoins de la défense tendent, au contraire, à démontrer que c’est précisément la répression aveugle mise en place par le pouvoir qui, en visant indistinctement les différents groupes de personnes, soumises on non au FIS, avait conduit, no-tamment des jeunes, à rejoindre les maquis et à faire allégeance aux islamistes, la seule volonté de l’armée, sous couvert de protéger la population, étant de se maintenir au pouvoir.
Quant au comportement des militaires, plusieurs témoins ont fourni une version sensiblement différente de celle livrée par la partie civile :
- s’agissant du massacre de Bentalha, le tribunal a ainsi entendu le témoin Yous, auteur d’un livre sur ce sujet, versé aux débats, lequel a entendu dénoncer, au minimum, l’inaction totale de l’armée, malgré sa présence, lors de la commission de ces faits ;
- de même, M. Abderrahmane El-Mehdi Mosbah a décrit, de manière particulièrement précise et circonstanciée, les conditions inhumaines et dégradantes dans lesquelles il avait été arrêté, détenu puis torturé par les militaires, sans raison, alors qu’il n’était nullement islamiste, au point d’insulter sa mère et de lui reprocher de l’avoir mis au monde ;
- M. Samraoui a indiqué avoir été affecté à un service de contre-espionnage et avoir, à ce titre, participé à différentes actions, visant à déstabiliser le FIS par tous les moyens. Il a d’ailleurs précisé sur ce point : « Ce que je peux dire, c’est que d’une part les enlèvements, les tortures, les exécutions sommaires faisaient partie du lot. Le problème, c’est qu’on ne sanctionnait pas de tels agissements. » Soulignant qu’en définitive beaucoup de personnes, parmi les plus dangereuses, n’avaient pas été arrêtées, le témoin a déclaré avoir quitté l’armée car il réprouvait certaines pratiques et qu’il ne pouvait accepter de lutter contre les terroristes avec des méthodes identiques à celles employées par ces derniers.
Concernant la sauvegarde des droits de l’homme, alléguée par la partie civile, la défense a apporté plusieurs atténuations à ce qui avait pu être avancé, soulignant le fait que les organisations algériennes des droits de l’homme invoquées par M. Nezzar étaient en réalité extrêmement dépendantes du pouvoir.
En outre, le témoin Patrick Baudouin, ancien responsable de la Fédération internationale des droits de l’homme, a déclaré que la première visite qu’il avait pu faire en Algérie, au contact des organisations présentes dans ce pays, lui avait laissé le sentiment constant de dissimulation et de mensonge, évoquant à ce titre la personne de M. Rezzag-Bara, lequel lui avait expliqué qu’« en Algérie, ça va beaucoup mieux ». Une deuxième visite, en juin 2000, lui avait toutefois laissé une impression plus favorable, beaucoup de personnes ayant pu être rencontrées, mais M. Baudoin devait mettre en exergue l’importance du problème posé par les personnes disparues, dont le nombre réel selon lui (15 000) était sous-évalué par le pouvoir (4 600).
Mme Nassera Yous, épouse Dutour, elle-même victime de la disparition d’un fils, a relaté le combat qui était le sien et l’indifférence à laquelle elle s’était heurtée, notamment de la part de M. Rezzag-Bara.

Sur le deuxième passage

Concernant ce passage, relatif aux conditions du départ de France de M. Nezzar, alors qu’il devait être entendu sur la base des plaintes déposées contre lui, le plaignant, par lui-même et par ses conseils, a admis avoir eu connaissance de ces plaintes et du fait qu’il devait être entendu à leur sujet, mais a indiqué que, selon lui, cette audition était de nature à entraîner un incident diplomatique entre l’Algérie et la France, pays dans lequel il se trouvait pour la promotion d’un ouvrage dont il était l’auteur ; cette audition avait d’ailleurs été ultérieurement réalisée — ainsi qu’en atteste la retranscription versée aux débats — et des décisions de classement sans suites avaient été prises par le Parquet.
Du point de vue de la défense, le départ de France de M. Nezzar manifestait sa volonté de fuir ses responsabilités, lesquelles pouvaient être recherchées dans un pays dont les autorités judiciaires étaient compétentes pour l’entendre sur les actes de tortures dénoncés à son encontre.

Sur le troisième passage

En ce qui concerne le qualificatif de « déserteur » appliqué au général Nezzar, la dé-fense a fait prévaloir le témoignage de M. Harbi, lequel a évoqué le ralliement à l’armée algérienne d’officiers ayant, par patriotisme, quitté l’armée française lors de la guerre d’indépendance, ainsi que celui de Mme Chevillard, journaliste ayant rédigé une étude sur l’Algérie, selon laquelle un tel adjectif relèverait de la « formule historique ».
Quant à l’imputation d’enrichissement personnel, contestée par M. Nezzar, le té-moin M. Benderra, haut responsable bancaire en Algérie, a mis en évidence le fait que, si l’interruption du processus électoral avait, au départ, coïncidé avec un processus de réforme économique, celui-ci avait, ensuite, été abandonné, entraînant, de façon incontestable, un constat de faillite. Le témoin a ajouté que, de façon tout aussi mani-feste, certains généraux, dont M. Nezzar faisait indiscutablement partie, avaient profité de cet état de fait.

L’ensemble de ces éléments, qui ont émergé au fil des débats, a tout d’abord mis en lumière le caractère dramatique de la situation algérienne depuis près de quinze ans. En effet, si les chiffres avancés varient, nul ne conteste l’ampleur du nombre de morts et de disparus, et le tribunal, en écoutant plusieurs témoins cités de part et d’autre de la barre, a pu prendre la mesure, indépendamment de leur origine, des souffrances endurées par la population de ce pays, victime d’une véritable guerre civile.
Il est, dès lors, parfaitement légitime que s’instaure un débat, a la hauteur de tels événements, quant à la genèse et aux responsabilités d’une telle situation. Il doit être pareillement admis que l’évocation d’une controverse de cette ampleur, compte tenu de l’importance des enjeux, engageant l’avenir d’un pays et la vie de sa population, peut justifier des positions divergentes, empreintes de passion, voire d’excès.
Il est constant, en l’espèce, que M. Habib Souaïdia a réellement exercé des fonctions d’officier au sein de l’armée algérienne et qu’il a nécessairement, à ce titre, parti-cipé à la lutte engagée dans son pays contre le terrorisme islamiste.
Il est vrai que les parties sont opposées sur les motifs pour lesquels M. Souaïdia a été arrêté, incarcéré et condamné, le prévenu dénonçant la volonté de l’armée de mettre fin à certaines protestations qu’il commençait à émettre, alors que la partie civile affirme que c’est à la suite de faits de vols commis dans le cadre de ses fonctions que l’intéress&eacu