La disparition de Fanchita Gonzalez Batlle. éditrice et traductrice de légende

Par François Gèze

 

C'est avec une grande tristesse que nous avons appris le décès de Fanchita Gonzalez Batlle, survenu le 21 février 2023 à l’âge de quatre-vingt-cinq ans. Fanchita a été éditrice et traductrice aux Éditions François Maspero de 1961 à 1982, puis à La Découverte de 1983 à 1992, avant de poursuivre, jusqu’aux derniers jours, une carrière de traductrice aussi brillante que discrète, faisant connaître aux lecteurs francophones des pans entiers de la création littéraire mondiale.

Entrée en 1961 comme secrétaire aux Éditions François Maspero – créée deux ans plus tôt par ce dernier –, elle y assure rapidement de nombreuses responsabilités techniques et éditoriales[1], dont la direction de la collection de poésie « Voix », créée en 1960 par François Maspero (dont elle deviendra l’épouse). La collection s’élargira dans les années suivantes, accueillant au total soixante-treize titres sous le label Maspero jusqu’en 1982, recueils de poésies, romans, récits. Elle marque son époque en accueillant les œuvres de certains des plus grands poètes mondiaux, souvent en version bilingue. On y retrouve, entre autres, Nâzim Hikmet et Tahar Ben Jelloun, Yannis Ritsos et Nabile Farès, Violetta Parra et Roque Dalton, John Berger et Salvador Espriu, mais aussi le prix Nobel Odysseus Elitis, Victor Serge, John Reed, Chris Marker, Nacer Khemir ou encore Gaston Miron, avec son fameux L’Homme rapaillé (1981). Sous la marque La Découverte, Fanchita continuera de développer la collection avec des textes de Nacer Khémir, Anna Akhmatova, Rainer-Maria Rilke, Tristan Cabral, Marina Tsvétaïeva, Kateb Yacine ou Nicolas Bouvier (L’Usage du monde, 1985), puis les parutions s’espacent à la fin des années 1980. Plusieurs des titres publiés au fil de ces années figurent toujours aujourd’hui au catalogue de La Découverte, comme Le Grain magique de Marguerite Taos Amrouche (1966), Les Années sans pardon de Victor Serge (1971), Mémoires de Geronimo (1972) ou L’Usage du monde. Et il y a quelques mois, elle avait eu la joie de voir réédité, par les Éditions de l’Éclat, le superbe recueil du jeune poète péruvien Javier Heraud (tué en 1963 alors qu’il était engagé dans la guérilla), qu’elle avait traduit et publié en 1971, Le Fleuve.

Quand, suite au départ de leur fondateur en 1982, les Éditions François Maspero deviennent Éditions La Découverte, Fanchita y reste directrice littéraire et crée en 1986 une nouvelle collection de littérature principalement dédiée à la littérature étrangère, qui lui permettra notamment d’introduire en France la romancière britannique Anita Brookner et l’écrivaine finlandaise Rosa Liksom. En six ans, la maison publiera plus de quarante romans et recueils de nouvelles de vingt-cinq auteurs, dont Paolo Barbaro, John Broderick (Le Pèlerinage), Mohamed Choukri, Lesley Glaister (Tu honoreras ton père), Rosa Liksom (Noir paradis) et Frank Ronan (Les Hommes qui ont aimé Evelyn Cotton). La collection sera arrêtée après le départ de Fanchita Gonzalez Batlle en 1992, suite aux difficultés économiques que traverse alors la maison.

Elle engage ensuite une impressionnante carrière de traductrice littéraire, polyvalente et subtile, traduisant en français aussi bien à partir de l’anglais, de l’espagnol, du catalan ou de l’italien que du grec. Elle traduira des dizaines d’ouvrages, en particulier de nombreux auteurs emblématiques des Éditions Liana Levi, dont André Schiffrin, Iain Levison, Alessandro Piperno ou Abir Mukherjee. Elle a reçu en 2007 le prix Baudelaire de la traduction de la SGDL, pour Des Oiseaux sans ailes de Louis de Bernières (Mercure de France, traduit de l’anglais).

Nous adressons nos vives condoléances à sa fille Nathalie.

 

[1] Voir Fanchita Gonzalez Batlle Maspero, « Un goût très vif de la liberté », in François Maspero et les paysages humains, La Fosse aux ours/À plus d’un titre, Lyon, 2009.