La disparition de Michel Pinçon

C’est avec une grande tristesse et beaucoup d’émotion que les Éditions La Découverte ont appris la mort du sociologue Michel Pinçon, survenue le 26 septembre, à l’âge de quatre-vingts ans. Sa disparition est une perte pour la vraie sociologie, la seule qui compte : celle dite « engagée » qui sait se mettre à l’écoute des autres et qui nous aide à comprendre le monde et ses injustices pour œuvrer à les changer. C’est aussi une dure perte pour La Découverte, tant nous avons été heureux de partager avec Michel et Monique Pinçon-Charlot, son épouse et complice de toujours, le plaisir de leurs livres, qui resteront.

Pendant plus de cinq décennies de vie et de recherches en commun, ils ont inlassablement enquêté et documenté les ressorts intimes de la classe dominante et les multiples formes de la « sécession des élites » en France, puis ses conséquences politiques, signant en commun jusqu’à vingt-sept livres… Dans les beaux quartiers (PUF, 1989) et Les Ghettos du gotha (Seuil, 2007) figurent parmi les plus marquants. Mais c’est à partir de leur « retraite » du CNRS, en 2007, que Michel et Monique ont donné toute la mesure de la dimension subversive de leurs travaux, suscitant souvent la vindicte des tenants des sciences sociales aseptisées, pour lesquels la « neutralité scientifique » impose de ne surtout pas remettre en cause l’ordre établi qu’elles étudient. Alors même que la rigueur des multiples enquêtes conduites par Michel et Monique ne fait aucun doute.

C’est d’ailleurs ce qui nous avait conduit à les solliciter pour notre collection « Repères », où ils ont publié deux titres devenus des classiques : Sociologie de la bourgeoisie (2000) et Sociologie de Paris (2004). La création en 2007 de notre label « Zones », va ensuite leur permettre de connaître un succès mérité et de trouver une audience dépassant largement les cercles académiques. Ce sera d’abord, en 2010, Le Président des riches. Enquête sur l’oligarchie dans la France de Nicolas Sarkozy (120 000 exemplaires vendus). Suivront ensuite La violence des riches. Chronique d’une immense casse sociale (2013, 90 000 exemplaires), Tentative d’évasion (fiscale) (2015), Le Président des ultra-riches. Chronique du mépris de classe dans la politique d’Emmanuel Macron (2019) et Notre vie chez les riches. Mémoires d’un couple de sociologues (2021). Ce dernier livre nous en dit long sur la singulière complicité, scientifique et politique, qui unissait Michel et Monique. Une complicité amoureuse aussi, vécue pendant plus de cinquante ans, que l’on retrouve dans le film plein d’émotion que leur a consacré en 2022 Basile Carré-Agostini, À demain mon amour.

Ces livres et ce film nous permettent de mesurer tout ce que peut représenter cette perte pour Monique, qui formait avec Michel un couple sans pareil, où l’un et l’autre, chacun à sa manière, ont su communiquer leur enthousiasme pour la vie et pour les combats émancipateurs. Nous lui redisons notre profonde affection, et notre engagement à faire vivre l’œuvre qu’elle a construite avec Michel.

 

Stéphanie Chevrier, présidente des Editions La Découverte

François Gèze, ancien PDG des Editions La Découverte

Grégoire Chamayou, directeur éditorial des Editions Zones