Hommage à Michel Husson

Le premier souvenir qui me revient de Michel Husson est une longue conversation que nous avions eue, autour d’une bière, après une conférence qu’il avait accepté de donner à mes étudiants, sur Le Capital au XXIe siècle de Thomas Piketty. Le sujet principal de cet échange était une question jadis majeure, mais qui ne préoccupe plus grand monde aujourd’hui, celle de la transformation de la valeur en prix de production. Sa contribution à ce débat est restée injustement méconnue (pour les initiés, l’argument principal, ébauché par Ernest Mandel, consiste à renoncer à déterminer simultanément la valeur des inputs et celle des outputs, à voir ici).
Je commence par cette référence car Michel Husson était d’abord perçu, professionnellement, comme un économiste statisticien (quelques éléments biographiques se trouvent ici), par conséquent plutôt prédisposé au travail empirique (voici un exemple d’utilisation simple, mais efficace, des statistiques). Et non comme un théoricien. Mais, étudiant, il avait été séduit par la rigueur formelle du cours de Carlo Benetti, et la première source d’inspiration des jeunes esprits critiques était Marx.
Or l’originalité d’un tel modèle ne se trouvait pas dans la révolte contre l’injustice, assez commune, mais dans la discipline intellectuelle à s’imposer si l’on prend au sérieux la nécessité d’une analyse scientifique de la réalité sociale. Certes, cet idéal encyclopédique est inaccessible aujourd’hui, car Marx fut tout à la fois philosophe, historien, économiste, sociologue, journaliste et militant. Mais il suffit de parcourir le site de Michel Husson pour vérifier qu’il traitait tout autant de la conjoncture (relance Biden), des enjeux sociaux et politiques immédiats (le Smic, l’assurance chômage, les retraites…) ou récurrents (la réduction du temps de travail, le coût salarial et le chômage…), que des tendances longues (l’évolution du taux de profit, les crises, les évolutions technologiques) ou de l’histoire sociale (voir par exemple sa note sur les Poor Laws), sur fond de dynamique du capitalisme. À cela, il faut ajouter l’étendue de sa culture, qui ne se limitait pas à la littérature marxiste, mais comprenait l’économie dominante, qu’il connaissait souvent mieux que ses protagonistes (Qui a pris le temps de lire John Bates Clark, ou The Theory of Unemployment d’Arthur Cecil Pigou ?).

Dans la génération de Michel Husson, beaucoup se sont contentés de réciter des extraits du Capital sans prendre la peine de faire progresser la recherche en exploitant les données statistiques, ne serait-ce que pour mesurer l’évolution du taux de profit et de ses déterminants. Ce fut l’une des raisons du reflux de l’économie marxiste. Encore moins nombreux sont ceux qui ont critiqué le discours économique dominant en ne se contentant pas d’arguments idéologiques, mais là aussi sur la base de travaux empiriques (un exemple récent étant la relation entre le coût du travail et l’emploi). De ce point de vue, nous devons à Michel Husson une contribution restée trop rare à une analyse critique, non dogmatique, du capitalisme (auquel il a consacré un livre très pédagogique, illustré par Charb, Le Capitalisme en 10 leçons), éclairante indépendamment de ses choix politiques.

Nous n’oublierons pas ses qualités humaines, sa gentillesse, sa modestie, son sens de l’humour. Michel Husson a été un humaniste radical.

Pascal Combemale