Conseils lectures : Jérémie Foa [2/7]

Vous ne savez pas quoi lire cet été ?

Voici quelques conseils, par des auteurs et autrices de la maison ! Ils vous présentent leur dernier livre paru, un livre qui leur a servi de source ou permis d’aller plus loin dans leur réflexion et, enfin, un livre qui leur tient particulièrement à cœur. Bref, de quoi remplir votre besace et vous accompagner à la plage, aux champs ou sur les sentiers – lectures tout terrain !

Cette semaine, la parole est à Jérémie Foa.

 

"Mon livre, Tous ceux qui tombent, explore un « lieu de mémoire » français, le massacre de la Saint-Barthélemy (1572). Bien souvent dans cette histoire, les acteurs ordinaires sontnégligés, écrasés par l’histoire des grands hommes ou l’enquête sur les commanditaires des violences. Au contraire, c’est aux vies minuscules de cette épouvantable tuerie que mon ouvrage est consacré, aux victimes banales comme aux tueurs lambda : épingliers, tireurs d’or, menuisiers, rôtisseurs de la Vallée de Misère, tanneurs d’Aubusson et taverniers de Maubert. Comment des gens ordinaires ont-ils pu soudain égorger leurs voisins ?

Mémoires de l’Estat de France (1577)  est un martyrologe dans lequel le pasteur Simon Goulart (1543-1628) recense un grand nombre de victimes anonymes de la Saint-Barthélemy. Rédigé dans un but religieux, pour présenter ce massacre comme une épreuve traversée par le peuple de Dieu, cet ouvrage est précieux car il repose sur des témoignages authentiques, des correspondances, des lettres aujourd’hui perdues. Sans Simon Goulart et certaines de ses histoires de massacre, je n’aurais pas pu écrire « La femme du commissaire », jamais pu enquêter sur la mort de Marye Robert. Le pasteur  écrit l’histoire du massacre au ras du sol, attentif à n’oublier aucun nom, aucune femme, aucun enfant, à passer par toutes les villes du royaume de France. Sans Simon Goulart, pas d’histoire de la Saint-Barthélemy.

« La vie des hommes infâmes » de Michel Foucault (1977) est la préface d’un livre qui n’a finalement jamais existé et qui devait rassembler des documents sources, tirés des archives de l’Hôpital général ou de la Bastille, et raconter « des vies de quelques lignes ou de quelques pages, des malheurs et des aventures sans nombre, ramassés en une poignée de mots ».

Dans ces lignes introductives d’une intensité rare, Foucault fait part de son « goût », son plaisir, son effroi ou son émotion lorsqu’il rencontre ces vies ordinaires dont on ignorerait tout si elles n’avaient un jour, par malheur, croisé le chemin du pouvoir et de la répression. « Je serais embarrassé de dire ce qu’au juste j’ai éprouvé lorsque j’ai lu ces fragments et bien d’autres qui leur étaient semblables. Sans doute l’une de ces impressions dont on dit qu’elles sont “physiques” comme s’il pouvait y en avoir d’autres. Et j’avoue que ces “nouvelles”, surgissant soudain à travers deux siècles et demi de silence, ont secoué en moi plus de fibres que ce qu’on appelle d’ordinaire la littérature, sans que je puisse dire aujourd’hui encore si m’a ému davantage la beauté de ce style classique, drapé en quelques phrases autour de personnages sans doute misérables, ou les excès, le mélange d’obstination sombre et de scélératesse de ces vies dont on sent, sous des mots lisses comme la pierre, la déroute et l’acharnement. »"

 

Les livres cités :

Jérémie Foa, Tous ceux qui tombent, Paris, La Découverte, 2021.

Simon Goulart, Mémoires de l'Estat de France, 1577.

Michel Foucault, « La vie des hommes infâmes », 1977.