De même qu'on admet aujourd'hui l'inexistence de " sociétés sans histoire ", on tient pour acquis qu'il ne saurait exister de sociétés sans mémoire : chacune viserait à perpétuer le souvenir du maghreb, affectées du double signe de la " tradition orale " et de la " communauté ", on attribue a fortiori une forte mémoire collective. Tout portait donc à croire que le oasis du Jérid, dans le Sud tunisien, recèleraient une forte mémoire de la communauté, exprimant le souvenir de leurs rapports tumultueux avec l'État aussi bien que la nostalgie des " lois de la cité ". Or le récit d'une histoire lignagère et privée y prend toujours le pas sur l'évocation d'un destin collectif. Revendiqué, cet oubli remet en cause les notions mêmes de tradition orale et de mémoire collective. Nourri d'une longue enquête sur place, cet ouvrage n'intéressera pas seulement les arabisants ou les passionnés du Maghreb, mais ceux qui veulent percer les silences et analyser les discours enveloppant l'histoire de leur propre société. La méthode inaugurée ici est particulièrement précieuse : mêlant l'anthropologie à l'histoire elle permet à l'auteur de s'interroger sur le sens d'un travail de la communauté à s'oublier comme telle, sur le sens d'un oubli " actif " du politique que l'on ne saurait réduire au traumatisme, à la dépossession ou à la perte. 
                
Jocelyne Dakhlia, historienne et anthropologue, est rattachée à l'équipe de recherche sur l' " Histoire sociale de l'Islam méditerranéen " que dirige Lucette Valenski [CNRS - EHESS].

Introduction : des récits segmentés 
 Genèse de l'oubli 
 Le Maghreb morcelé 
 L'historiographie politique d'une région politique 
 Une tradition orale par défaut 
 La fiction d'une parole collective 
 I. Une histoire liminaire : le temps de l'ignorance 
 Une réinvention de l'histoire sacrée 
 Le Maghreb sanctifié 
 Une histoire dramatisée 
 Pharaon omniprésent 
 Un passé d'altérité 
 Une romanité belliqueuse 
 L'origine des juifs 
 Une barbarie féminisée 
 II. Histoire dite, histoire écrite : l'oubli partagé 
 L'écrit souverain 
 La parole indigne 
 La tradition 
 Une religion de la mémoire 
 L'amnésie politique 
 Le Jérid dans 
 Les saints victorieux 
 Les cadres lignagers de la mémoire collective 
 III. Légendes lignagères : le sang figure du temps 
 L'identité des origines 
 Un récit-microcosme : L'Est et l'Ouest 
 Une histoire 
 Lier par le sang 
 Le cercle de la parenté 
 Ouvrir le cercle 
 IV. La geste hilalienne : une fausse épopée 
 Littérature orale et tradition historique 
 Un conte vrai 
 Ibn Khaldun et " vérité admise " 
 Des récits d'amateurs 
 Le mariage à la ville 
 Le don forcé 
 La mise à nu 
 le cri de sang 
 Oncle de malheur 
 La piste de l'exilé 
 La tentation d'une autre histoire 
 La guerre des sorts 
 Le mérite de l'orphelin 
 L'épreuve des vertus 
 Un juif à cheval 
 Le nomadisme tribal 
 Gouverner la tribu 
 La tribu en balance 
 La discrétion des pouvoirs 
 Ouvrir le récit 
 V. La filiation des saints : une hagiographie laïque 
 Le manteau des saints 
 L'âge des amis de Dieu 
 Le règne des parfaits 
 Les saints dans la ville 
 Une grande famille 
 La compétition des parfaits 
 VI. Figures du souverain : le Bey dans l'ordre des familles 
 Les sujets indécis 
 Entre chiens et loups 
 Visiter le prince 
 Le gouvernement mobile et la rotation des fortunes 
 Échec d'une mise en scène 
 L'État de violence 
 VII. De la tyrannie à la guerre civile : le passé irrésolu 
 Franchir le pas 
 La tyrannie officielle 
 Une compétition inégale 
 L'incarnation des tyrans 
 Une légende inconnue 
 Un reniement collectif 
 Histoires de la guerre civile 
 Concevoir la division 
 Une issue condamnée 
 Conclusion 
 Liste des archives dépouillées 
 Index 
 Cartes 
 Le Jérid tunisien 
 Villages et oasis du Jérid 
 Plan de Tozeur.