Summer of the 90's sur Arte #4


Ce week end : Alternative culture

Extrait de la page 98 de "Une histoire (critique) des années 1990" sous la direction de François Cusset:

LA WORLD MUSIC

Inventé par les ethnomusicologues des années 1960 pour désigner les musiques traditionnelles propres à chaque aire culturelle, le terme « world music » a été détourné par l’industrie musicale dans les années 1980 pour venir coiffer les nouveaux mélanges en vogue entre les musiques autrefois appelées « ethniques » et les courants occidentaux dominants (pop, rock, jazz, etc.).
On considère souvent que c’est Peter Gabriel qui rendit cette dénomination commercialement incontournable avec la création du label Real World, en 1989. À travers l’enregistrement et le management d’artistes comme le Pakistanais Nusrat Fateh Ali Khan ou l’Ougandais Geoffrey Oryema, Real World s’est attaché à faire découvrir au grand public une certaine partie des « musiques du monde », habillée aux couleurs des représentations occidentales et produite selon les standards de la pop culture des major companies.
Dès lors, la « world music » a constitué une étiquette à part entière chez les disquaires du monde entier, accueillant non seulement cette nouvelle catégorie d’artistes mêlant traditions musicales nationales et modernité pop, mais aussi les heureuses rééditions de musiques phares négligées jusque-là, du jazz éthiopien aux sonorités balinaises. Ainsi, malgré son caractère fourre-tout et le cynisme qui en a motivé l’utilisation, ce nouveau label de « world music » a permis, dans les années 1990, de donner une vraie visibilité médiatique à de nombreux artistes qui ne bénéficiaient pas de l’attention du public occidental.
La création du magazine franco-suisse Vibrations en 1991 signale la rencontre fructueuse entre cette attention nouvelle et la curiosité enfin récompensée de quelques journalistes œuvrant dans le domaine des musiques du monde depuis les années 1970. Car les genres musicaux découverts alors sur leur chemin par ces plumes pionnières auront attendu quinze ou vingt ans pour que soient connus plus largement, voire enregistrés eux-mêmes, certains de ces artistes majeurs.
Radio Nova, créée en 1981 par Jean-François Bizot dans le sillage du magazine Actuel, sera en France le fer de lance de la diffusion de ce qu’on surnomme alors la « sono mondiale », avec la programmation de très nombreux musiciens étiquetés « world music », dont certains deviendront des stars internationales, comme Fela Anikulapo Kuti (mort en 1997) ou la chanteuse cap-verdienne Cesaria Evora.
De fait, depuis le milieu des années 1990, et grâce à l’ouverture des médias traditionnels à la notion de « musiques du monde » (bientôt préférée à celle de « world music »), l’intérêt pour les traditions musicales les plus anciennes et les plus étrangères aux normes occidentales a crû continûment – non sans que quelques coups médiatiques ne soient régulièrement tentés pour amadouer le public le plus large, à l’image du succès immense de l’opération Buena Vista Social Club, qui fit en 1998 des classiques locaux d’une poignée de vieux crooners cubains les tubes mondiaux de la fin de la décennie.

 

Matthieu Rémy

 

Lire les extraits précédents

* Épisode #1 : Faces of the 90's

* Épisode #2 : Love, peace and ecstasy : dance culture

* Épisode #3 : Total entertainment