La « révolution numérique » a, dans le champ culturel en général et musical en particulier, essentiellement donné lieu à des travaux qui envisagent d’une part la portée économique et les conséquences juridiques de la mise en ligne des contenus et d’autre part le renouvellement des formes de sociabilité et d’interactions entre les musiciens et leurs publics : l’émergence de nouveaux modèles de création de la valeur ou de nouvelles modalités de l’expertise ou de la prescription, le renouvellement des mécanismes de construction de la réputation et de la visibilité ont notamment constitué l’épicentre de ces travaux.
A contrario, il est frappant que le cœur même de l’activité musicale – c’est à dire, répéter, se produire, enregistrer, utiliser des instruments, et dans une moindre mesure se promouvoir –, ait été en grande partie délaissé. Tout se passe comme si l’être-concret du musicien était absent des analyses sur la musique digitale. Or, on peut penser que l’émergence d’un instrumentarium numérique (sampleur, Digital Audio Workstations, synthés et effets virtuels, etc…) et le développement de nombreuses ressources sur internet (tutoriels, sites de recommandation, sites de mix ou de mastering on line…) n’ont pas été sans conséquences sur l’ensemble des pratiques constitutives de l’activité musicale : on peut notamment se demander si la baisse significative du coût des équipements, de nouvelles modalités d’apprentissage, l’apparition d’une lutherie numérique, la possibilité de contrôler toutes les étapes créatives (de l’enregistrement à la diffusion), n’ont pas fait baisser les coûts d’entrée dans l’activité, mais aussi modifié l’idée même de carrière, en affranchissant le musicien de ces gate keepers traditionnels que sont les studios d’enregistrement, la maison de disques ou la presse et les médias spécialisés.
Centré sur les aspects concrets de la pratique musicale en régime numérique, ce numéro de Réseaux s’intéresse aux éléments constitutifs d’une ontologie digitale, à une histoire du passage de l’analogique au numérique, à la transformation des métiers et de pratiques, à la production de nouvelles esthétiques, à l’émergence de nouveaux systèmes de représentations et de nouvelles controverses autour des avantages et des inconvénients de la dématérialisation.
Les auteurs
Présentation,par Philippe Le Guern
Dossier : Musique et technologies numériques
Irréversible ? Musique et technologies en régime numérique, par Philippe Le Guern
Musiques populires en régime numérique : acteurs, équipements, styles et pratiques, par Nick Prior
La transmission perdue et retrouvée : le sampler comme outil de composition et de décontextualisation de l'enregistrement, par Paul Harkins
Affordances, stations audionumériques et créativité musicale, par Robert Strachan!
De l'orchestre au logiciel : l'impact des technologies numériques sur l'activité des compositeurs de musique à l'image, par Pauline Adenot
Varia
La saison des châteaux : une ethnographie des tournages en "décors réels" pour la télévision par Sabine Chalvon-Demersay
Franc-maçonnerie 2.0 Adaptations et dénaturations d'une culture rituelles dans le cadre des plates-formes participatives, par Céline Bryon-Portet
Notes de lecture
Alone Together: Why We Expect More from Technology and Less from Each Other, de Sherry Turke, Basi Books, New York, par Johann Chaulet
Les partis politiques sur le web, dir. Fabienne Greffet, par Véra Nikolski
Intermédiaires du travail artistique. A la frontière de l'art et du commerce, de Delphine Naudier, Wenceslas Lizé et Olivier Roueff, Ministère de la culture et de la communication, Département des Études, de la prospective et des statistiques, coll. "Question de culture", Paris, 2011, par Olivier Plimis
Les années Actuel. Contestations rigolardes et aventure moderne, de Perrine Kervran, Anaïs Kien, Le Mot et le Reste, Marseille, 2010, par Kevin Mellet
Piratages audiovisuels, les voies souterraines de la mondialisation culturelle, dir. Tristan Mattelart, De Boeck, Bruxelle/INA Médias-Recherches, 2011, par Gaël Villeneuve
Résumés-abstracts.