Summer of the 90's sur Arte #5


Ce week end : Street and style

Extrait de la page 103 de "Une histoire (critique) des années 1990" sous la direction de François Cusset :

 

LE RAP ET L’IMPUISSANTE FUREUR

Né sur un tout autre versant musical, le gangsta rap annonce le même évangile : les exclus sont les vrais héros, les losers sont les vrais winners. Le message hyperréaliste et violent du gangsta rap a été anticipé dès la fin des années 1980 par les New-Yorkais de Run D.M.C. et Public Enemy. C’est quelques années plus tard cependant qu’il explose, et à Los Angeles, grâce a des rappeurs comme Ice T, Niggaz wit Attitudes et 2Pac. Il servira vite de modèle au rap français, et à Supreme NTM en particulier, et aura même, pourrait-on dire, une valeur de révélation pour toute une partie de la jeunesse.
En France, le rock, a quelques exceptions près, n’a pris qu’en surface. Aucun groupe français d’envergure n’a dépassé le statut de phénomène générationnel. Téléphone s’est arrêté très vite ; Trust n’a pas su se maintenir au sommet ; Indochine, lié au début des années 1980, a connu une longue traversée du désert ; et Noir Désir n’a touché qu’une partie de la jeunesse. En revanche, le rap s’impose comme un langage universel, prenant même racine dans une société française d’où la révolte collective s’éloigne et où le désenchantement individuel s’installe. La colère devient alors une pulsion impuissante et la rage, impossible à canaliser dans une action à long terme, se grise d’elle-même pour devenir un happening sans suite, comme la longue grève générale de l’hiver 1995 qui en fin de compte ne mènera pas à grand-chose.
Le rap et sa parole enragée, sa révolte masturbatoire et enfermée en elle-même commencent à déborder largement le cadre des populations marginales ou il est né. Il entre en résonance avec le sentiment de fureur impuissante qui parcourt la société. Accroche à la tradition de notre chanson engagée, il devient le mode d’expression d’une population jeune (et moins jeune) qui trouve là un exutoire a toutes ses frustrations. Le rappeur est un curieux antihéros : évidemment marginal et asocial, il est également le vertueux par excellence.
Sa haine des flics et des juges ne fait qu’exprimer la révolte de son âme a la pureté d’enfant, dressée contre toutes les injustices. Son langage ordurier, son désir d’assouvir toutes ses pulsions, y compris les plus basses, l’origine frauduleuse de ses revenus, nés de trafics illicites, tout cela n’est en rien contradictoire avec la vertu qu’on lui prête, puisque, dans la société communicante et ce monde d’hypocrites, être assoiffe de sincérité est, un peu comme au jeu des Mille Bornes, la carte prioritaire . On ne peut rien vous refuser. Parce que vous êtes un perdant, vous passez en premier. Vous êtes le seul a pouvoir gagner a ce jeu-la celui du pouvoir symbolique, faute d’avoir le moindre pouvoir effectif. Le rap est le lot de consolation des perdants. Très vite, il deviendra une religion officieuse et un commerce dont quelques-uns seront les rois.

 

Lire les extraits précédents

* Épisode #1 : Faces of the 90's

* Épisode #2 : Love, peace and ecstasy : dance culture

* Épisode #3 : Total entertainment

* Épisode #4 : Alternative culture