Communiqués

Algérie : le général-major Khaled Nezzar perd son procès en diffamation contre Habib Souaïdia
par François Gèze

27 septembre 2002

Le 27 septembre 2002, la 17e chambre du tribunal de grande instance de Paris a débouté le général Khaled Nezzar, ancien ministre de la Défense et homme fort du régime algérien, de sa plainte en diffamation contre l’ex-sous-lieutenant Habib Souaïdia, auteur du livre La sale guerre., publié en février 2001 aux Éditions La Découverte.

M. Nezzar reprochait à Habib Souaïdia ses propos tenus le 27 mai 2001 dans le cadre de l’émission « Droit d’auteurs » (France 5), où il présentait son ouvrage. Il y avait notamment déclaré : « Chez nous, […] les hommes politiques sont des généraux, c’est eux qui décident. Il n’y a pas de président. Cela fait dix années qu’il n’y a pas de président, plus même. Il y avait des généraux, ce sont eux les politiciens, c’est eux les décideurs, c’est eux qui ont fait cette guerre. C’est eux qui ont tué des milliers de gens pour rien du tout. C’est eux qui ont décidé d’arrêter le processus électoral, c’est eux les vrais responsables. […] Je ne peux pas pardonner au général Massu et au général Aussaresses les crimes qu’ils ont commis, comme je ne peux pas pardonner au général Nezzar, ex-ministre de la Défense. Il faut qu’on juge les coupables. »
C’est précisément parce que cette vérité, depuis de trop longues années, était étouffée, que nous avons publié le livre de Habib Souaïdia, après ceux de bien d’autres auteurs, français et algériens, soucieux d’éclairer l’opinion française et internationale sur l’histoire tragique de ce pays et de dissiper les mensonges sur la guerre atroce qui le déchire depuis 1992.

Le silence complice — pour ne pas dire plus de la France officielle sur ce drame n’est pas acceptable. C’est pourquoi, par fidélité à ceux qui se sont battus, en France, pour l’indépendance de ce peuple qui nous est si proche, par respect pour les centaines de milliers d’Algériens et d’Algériennes qui sont tombés pour la libération de leur pays, il est indispensable de donner la parole à ceux qui, des deux côtés de la Méditerranée, s’engagent, témoignent ou s’efforcent de rechercher la vérité historique, pour permettre au peuple algérien de retrouver la paix civile, de vivre enfin la liberté et la démocratie.

Le verdict rendu le 27 septembre 2002 par la 17e chambre conforte indiscutablement cette démarche, et on ne peut que s’en féliciter. En accordant, de façon très argumentée, « au prévenu Souaïdia le bénéfice de la bonne foi » et en déboutant le général Nezzar de l’« ensemble de ses demandes », il constitue une brèche significative dans le mur de désinformation et d’intimidation dressé par les « décideurs » algériens pour occulter leurs crimes et dissuader victimes et militaires dissidents de témoigner comme l’a fait Habib Souaïdia.
C’est à l’élargissement de cette brèche que nous entendons contribuer en publiant, le 24 octobre 2002, Le procès de La Sale Guerre, ouvrage reprenant l’intégralité des minutes du procès historique de juillet 2002. Il n’est pas exagéré, en effet, de comparer ce procès à celui intenté en janvier 1949 à Victor Kravchenko aux Lettres françaises et qui avait fait connaître pour la première fois au grand public les horreurs du système totalitaire soviétique. Les quelque trente témoins des deux bords qui ont été entendus au cours de ces journées – hommes politiques, militaires, journalistes, historiens, victimes du terrorisme islamiste et du terrorisme d’État – ont mis a nu la nature réelle de la « sale guerre » menée depuis dix ans en Algérie et dénoncée par Habib Souaïdia dans son livre : une violence d’État déclenchée par une minorité de généraux soutenus par des civils coupés du peuple, et qui a instrumentalisé la violence islamiste pour rester au pouvoir.

Ce livre n’est qu’une étape, et nous espérons qu’il aidera tous ceux qui, en Algérie comme au sein de la communauté internationale, se battent pour que ce pays sorte enfin de ce cauchemar sanglant où il est plongé depuis plus de dix ans.

Fait à Paris, le 30 septembre 2002
François Gèze, Directeur général des Éditions La Découverte